Les Précepteurs du Я - Âmes Sentinelles (Tome I)

Chapitre X - les deux pas de la faucheuse

2015, octobre, mercredi 21, 10h16.

J'étais assis à une table de la cafétéria, mon café noir dégageant une légère vapeur au-dessus de la tasse en céramique blanche. J'avais déroulé le journal du matin, profitant d'un rare moment de calme. Mes yeux parcoururent rapidement les gros titres jusqu'à tomber sur une annonce en pleine page : « Disparition inquiétante de Sao Zo », accompagnée d'une photo mal cadrée. Un rire échappa à mes lèvres, sans que je puisse le retenir. Disparue ? Ils devraient mettre à jour leur article... On l'a déjà retrouvée, pensai-je avec une pointe d'ironie.

Mais alors que je tournai la page, mon sourire s'effaça. Un autre article, en bas de la rubrique faits divers, attira mon attention : « Une femme retrouvée dans les égouts - l'identité reste inconnue. » Le visage qui accompagnait le texte m'était familier, bien que ravagé. Je sentis un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale. C'était elle, le corps que j'avais autopsié hier matin. La rapidité de la presse me terrifie...

Les mots dans l'article étaient succincts, mais la description des circonstances laissait entrevoir une histoire bien plus trouble. Est-ce que Sao aurait finit comme elle si elle était resté un jour de plus ? m'interrogeai-je en tapotant la table du bout des doigts. Le café refroidissait, mais je ne m'en souciais plus. La cafétéria, pourtant animée, me parut tout à coup bien silencieuse. Après tout, ça ne sert à rien de trop réfléchir, conclus-je en me levant de ma chaise, le travail m'attend.

- Docteur ! hurla une voix qui m'était familière, avant de se jeter sur moi.

- At-

- Non, me coupa-t-il en attrapant ma manche, on parlera plus tard !

Atlas, qui m'avait rejoint à l'instant même où j'avais franchi la porte de la cafétéria, se trouvait maintenant derrière moi, contemplant les murs blancs et les sols similaires, cherchant une quelconque poussière à reluquer ou à inscrire dans son calepin. A l'intersection de deux couloirs, je vis un amas de médecin se diriger vers le bâtiment est en criant des mots peu compréhensibles. Il s'agissait sûrement d'une autre urgence, une parmi tant d'autres, une qui n'aurait certainement aucun impact sur moi. Mais malgré ça, je ne pus m'empêcher de m'approcher d'eux, de les suivre du regard. Leurs pieds écrasaient le sol en un rythme saccadé, même leurs voix et leurs vêtements s'harmonisaient parfaitement. En suivant le précédent groupe, nous sortîmes du hall pour nous retrouver autour de feuilles d'automnes et de patients capricieux. La cour intérieure paraissait bien plus agitée qu'habituellement, comme si on y avait fait passer un cirque, ou une traînée d'animaux non-domestiqués.

Enfaîte, le chemin que l'on suivait actuellement était déjà tracé depuis ma sortie de la cafétéria. Atlas ne m'avait pas sauté dessus par hasard. Boucle d'or faisait le pigeon voyageur entre moi et Mavis, elle voulait me parler, urgemment. Alors expressément je me suis laissé emporté par la foule, pour je l'espère arriver avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'elle ne puisse dire un seul mot. Le blondinet me doubla et poussa la porte du service d'oncologie, me permettant de garder mes mains engouffrées dans les poches de mon manteau en laine. En entrant dans le couloir principal, je remarquai mon rouquin adossé contre le mur, juste devant la chambre de Mavis. Les bras croisés et le regard pensif, il semblait attendre quelque chose que j'ignorais. Quand nos regards se croisèrent, il m'adressa un sourire, que je lui rendis sans réfléchir.

- Je ne vous conseillerai pas de rentrer.

- Pourquoi ? Mavis voulait me parler.

Sans prendre en considération les paroles de Shams ou même attendre une réponse à ma question, je poussai la porte d'un geste brusque et entrai dans la chambre. Mais je fus vite couper dans mon élan. Un médecin accompagné de deux infirmières s'agitèrent de partout, hurlant des consignes et balançant des médicaments d'un côté de la pièce à un autre. Mavis, au milieu de ce brouhaha, était allongée sur son lit, à plat ventre, la tête dans le vide, au dessus d'une flaque sanguinaire.