— Super confort, commenta Anna en se laissant tomber sur un canapé d'angle rose cassé.— Tiens-toi bien, rouspéta leur mère en regardant à gauche et à droite, au cas où un vendeur trouverait ça inconvenant.
Par provocation, Cassien la rejoignit et étendit ses bras de part et d'autre du dossier.
— Un peu dur quand même.
— Ouais, mais ça veut dire que l'assise mettra plus de temps pour se faire, riposta sa sœur en rebondissant sur place.
Violette essaya de monter sur le canapé, sa petite chaussure blanche peinant à atteindre le tissu. Avant que sa mère ne puisse l'attraper, Nathalie porta l'enfant dans ses bras et les réprimanda d'un regard.
— Quel exemple donnez-vous à cet enfant ?
— Celui d'une maman cool.
Anne-Fleur tira la langue et se redressa pour suivre sa mère dans les rayons. Cassien embraya dans son sillage, les mains dans les poches de sa veste, une attelle souple au poignet afin qu'il ne sollicite pas trop ses doigts.
— Viens là, toi !
Anna vola Violette des mains de sa mère et la déposa dans un lit pour enfant sous le regard effaré de Nathalie. Cassien pouffa, conscient que leur génitrice peinait avec ce je-m'en-foutisme qui était devenu leur marque de fabrique depuis longtemps.
— Si un vendeur voit ça, chuchota-t-elle, inquiète.
— Maman, au pire, je lui dirais qu'on teste les lits. C'est bon, c'est fait pour !
Cassien braqua son regard sur une pancarte accrochée contre le bois du lit en hauteur et esquissa un sourire amusé. Le rond rouge barrait explicitement les chaussures qui étaient toujours au pied de sa nièce.
Nathalie grommela tout bas et s'écarta d'eux en prétendant ne pas les connaître pour ne risquer aucun ennui. Son comportement arracha des rires moqueurs à ses enfants. De nouveau par terre, Violette tendit ses deux mains aux adultes qui les attrapèrent rapidement.
— C'est sympa que tu sois venu aider maman, sourit Anna.
Cassien haussa les épaules, embarrassé que de telles choses ne soient plus si naturelles dans sa tête.
— Elle m'a demandé de l'aide.
— Tu aurais pu refuser.
— J'ai dit que je voulais lui accorder une dernière chance, répliqua-t-il en fixant une cuisine équipée sur sa gauche.
Bien qu'il fuit le contact visuel, Anne-Fleur se contenta de cette réponse, ravis qu'il se décide enfin à renouer des liens depuis longtemps distendus.
— Elle t'a dit pour la maison ?
— Oui.
Il hochait la tête, bien loin de la mélancolie qui habitait sa sœur. Les derniers souvenirs de disputes constantes avaient malheureusement effacé une enfance heureuse et naïve. Le domicile familial était rapidement devenu une prison à ses yeux. La fuite, sa seule issue de secours. Combien de fois avait-il fugué ? Par caprice aux yeux de son père, parce qu'il étouffait de son propre point de vue.
— Et le boulot ?
— Je reprends lundi. Le lieutenant va me fournir seulement des tâches administratives. C'est trop risqué de m'emmener en opération si je ne peux pas utiliser ma main correctement.
— C'est con, vraiment. D'avoir pété un miroir, ajouta Anna avec un sourire malicieux.
Il leva les yeux au ciel, faussement agacé.
— Oh !!! Je veux !
Violette se détacha brusquement de sa main pour indiquer une caisse grillagée où reposait une montagne de peluches. Découragée, sa mère cherchait déjà un moyen de repartir avec son porte-monnaie en entier alors que la petite fille tentait vainement de négocier. En les observant, mains dans les poches, Cassien regretta d'avoir loupé les premières années de cette vie-là, coincé dans une caserne à la capitale, obligée d'y faire ses preuves et priant tous les jours pour être transféré.
Ironique qu'il ait eu envie de retrouver sa ville natale quand elle était également le berceau de ses tourments.
Heureusement, il n'était plus seul. Anne-Fleur, bien que têtue et moralisatrice, lui vouait un amour inconditionnel en plus d'être un véritable soutien au sein de sa famille. Lorenzo, ce meilleur ami qui, malgré la distance, avait tenu à garder contact, persistait dans son entourage, lui offrait un peu de normalité et de courage dans son monde d'obligé. Violette, ce petit bout d'humain, lui remplissait le cœur d'une joie enfantine à chacune de ses paroles ou de ses sourires. Enfin, Nathalie, sa mère, qui tentait désespérément de se faire pardonner.
Il avait fait le bon choix. Prisonnier d'un emploi qui ne lui convenait pas, il était enfin parvenu à retrouver son cercle social, ce pilier nécessaire au bon équilibre de sa vie. Peut-être que les choses iraient mieux désormais ?
— Cass, pitié, prends-là ! souffla Anna.
Elle avait les mains sous les aisselles de sa fille qui, tout en chouinant et se débattant, donnait des coups de pied dans les airs.
— JE VEUX LA GIRAFE !
Cet étrange épisode lui en rappela un autre, plus frustrant, qu'il se dépêcha de chasser. Ou presque. Dans un parfait automatisme, il saisit les chevilles de l'enfant et planta le bleu de ses iris dans ceux qui lui faisait face, larmoyants et frustrés.
— Violette, on n'a dit pas de coups de pied. Pense à maman. Tu veux lui faire mal ?
Elle renifla, les sourcils de plus en plus froncés, et croisa péniblement les bras sur son petit torse, maintenue à quelques mètres du sol. Anna soupira et la cala contre sa hanche, résolue à encaisser la mauvaise humeur de sa fille.
— Je te jure..., soupira Anna. C'est une petite peste des fois.
Goguenard, Cassien s'écarta de sa soeur pour éviter d'éventuelles représailles avant de répliquer :
— Un peu comme sa mère, non ?
— Oh, toi ! gronda-t-elle en lui montrant son poing.
Il haussa un sourcil, moqueur, et fila rejoindre sa mère sans demander son reste.
— Tu as perdu Anne-Fleur ? questionna sa mère en reposant un étrange vase sur le présentoir.
— Non, elle essaye désespérément de me rattraper avec un gosse dans les bras.
Nathalie le fixa quelques secondes, les lèvres étirées en un sourire amusé. Elle secoua la tête, habituée à leurs chamailleries.
— Quand je pense que vous passez plus de temps à vous tirer dans les pattes qu'à vous enlacer...
— Maman, j'ai pas envie de câliner Anna, grimaça Cassien. C'est une peau de vache.
— La peau de vache entend tout abruti ! siffla son aînée en lui asséna une claque derrière la tête.
— Eh !
Elle lui tira la langue sous le regard réprobateur de leur mère qui mit un point d'honneur à lui faire la morale. Anna n'en avait rien à faire. À vingt-huit ans, elle considérait que son éducation était terminée. Et pour le prouver à son petit frère, elle lui leva le majeur dans son dos, provocatrice. Cassien écarquilla les yeux, plus par jeu que réellement choqué, et secoua la tête, de bonne humeur. C'est une gamine.
En fixant son dos, une pensée ridicule l'apaisa. Certaines personnes n'avaient pas changé. Et ça lui faisait du bien.
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Tome 2 - True Love
RomansaSix ans se sont écoulés. Six années sans réponse, sans signe de vie. Loup est resté au même endroit, est retombé amoureux, a gardé contacte avec son meilleur ami tout en privilégiant sa famille. Cassien, de son côté, a fuit cette ville de malheur...