1 - Prologue

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Maman était morte. Je m'y attendais. J'avais entendu papa en parler avec papy au téléphone, quelques semaines avant. Son état n'avait fait que se dégrader. Elle avait fait un arrêt cardiaque dans la nuit. Et je n'avais pas pu lui dire au-revoir, car papa ne voulait pas aller la voir à l'hôpital hier. Il avait dit qu'il était trop occupé, mais il m'a menti. Tout ce que je l'ai vu faire, c'est boire et ranger ses affaires dans une valise. Je lui ai demandé si on partait en vacances, mais il m'a crié d'aller dans ma chambre. Et ce matin, il a reçu un coup de fil et m'a simplement dit : “Ta mère est morte.”

Il est allé chercher sa valise et est sorti, ignorant mes questions et mes larmes. 

La nuit était tombée. J'attendais son retour depuis ce matin. Je voulais manger quelque chose mais le frigo était vide. J'attendais dans la chambre de Manjiro car il pleurait depuis des heures. La seule lumière qui nous éclairait était celle provenant des lumières de la ville. Faibles et froides, tout comme les pleurs de mon petit frère, allongé dans son berceau. Il ne s'arrêtait pas, peu importe à quel point j'essayais de le calmer. 

J'ai essayé et essayé, pendant plus d'une heure, mais il continuait. Je ne pouvais pas le nourrir, papa n'avait pas fait les courses. Peut-être que je devais changer sa couche ? Mais je ne savais pas le faire. Je ne savais même pas s'il en restait. Et puis je pensais à maman. Mes yeux commencèrent à piquer. Manjiro continuait de pleurer. Que faisait papa ? Pourquoi ne revenait-il pas ? Pourquoi maman était morte ? Manjiro pleurait. Qu'est-ce que je devais faire ? Est-ce que papa allait revenir ? Il nous abandonnerait pas comme ça, pas vrai ? Je voulais que maman revienne. Mince, j'avais pas fait mes devoirs pour demain…Papa allait me taper. Il le fait toujours quand il est énervé. Pourquoi il était méchant ? Manjiro pleurait. Maman me manquait. Pourquoi papa était parti ? Il avait une valise. Il n'allait pas revenir. Je le savais. Est-ce qu'il m'aimait même un peu ? Pourquoi maman était morte ? Il pleurait. Je pleurais ? Ah. Je pleurais aussi. Maman ne me ferait plus jamais de gâteaux. Elle cuisinerait plus jamais mes lasagnes préférées. Pourquoi ? Où était papa ? Qu'est-ce que je devais faire ? Il pleurait. Il pleurait. Il pleurait. Il pleurait…

-Tais toi !

C'était ma voix qui venait de résonner dans la chambre. Forte, tremblante, énervée, désespérée. Ma voix brisée et perdue. Manjiro ne pleurait plus. Il me regardait, les yeux apeurés, les joues humides…et moi, j'ai continué à pleurer.

Il était quatre heures du matin quand la voiture de papy s'est garée dans l'allée. J'avais attendu longtemps avant de l'appeler, espérant toujours qu'au fond de moi, papa reviendrait.

J'ai ouvert la porte, papy s'est assuré que j'allais bien, que Manjiro aussi, puis il m'a dit de faire mon sac et qu'on allait dormir chez lui. Je l'ai fait. Je ne pouvais rien faire d'autre. J'ai pris mon sac de cours et je l'ai vidé. Papy a dit que je n'irai pas en cours demain et qu'on viendrait chercher le reste de mes affaires plus tard, quand il aura régler le problème. Ce problème étant le départ de papa. Bizarrement, je n'avais plus envie de l'appeler “papa”. Dans mon sac, j'ai mis quelques vêtements, ma console de jeux, mon doudou et mon carnet à dessin. J'ai attendu papy dehors pendant qu'il s'occupait de Manjiro. Ensuite, on est montés en voiture, moi devant à côté de papy et Manjiro sur la banquette arrière avec les sacs. Papy conduisait. Il essayait de me rassurer. Il disait qu'il trouverait une solution et que j'allais bientôt retourner en cours voir mes camarades. J'ai appris plus tard qu'il mentait. Mais à ce moment-là, je n'y pensais pas vraiment. Je n'avais qu'une seule question sur les lèvres :

-Pourquoi papa est parti ?

Et sa réponse ne fut qu'un long et pesant silence. Je n'ai pas insisté. Après plusieurs minutes qui m'avaient parues une éternité, papy s'est garée devant chez lui. On est entrés et il a déposé Manjiro dans sa chambre avant de m'emmener dans celle qui, bientôt et sans que je ne le sache encore, deviendra la mienne : l'ancienne chambre de papa. Là, il s'est agenouillé et m'a pris dans ses bras, susurrant cette simple phrase à mon oreille, cette phrase qui hantera chaque jour, chaque année de ma vie, cette phrase que je réentendrai pour l'éternité, au fin fond de mon esprit, gravée dans ma chair et dans mes os :

-The One Who Suffered In Silence- (wakashin)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant