Chapitre 5 (1/2)

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Plus tard, lorsque le taxi s'arrêta dans la rue qui menait au manoir de Lilith, l'habitacle était irrespirable. L'angoisse du chauffeur était si palpable que les billets que je lui tendis furent presque arrachés d'entre mes doigts. Dès que nos portières eurent claquées, il mit aussitôt les gaz, quittant la ville en faisant patiner ses pneus.

L'annonce de la perte du collier n'avait pas mis longtemps avant de faire le tour du pays, et les rues étaient désormais désertes. Grâce à la radio du taxi, nous avions appris que douze attaques avaient déjà été recensées, rien que dans le Maine, dont celle qui avait eu lieu dans notre avion. En imaginant ce phénomène étendu à l'échelle mondiale, un goût de bile envahissait ma bouche.

— C'est une course contre la montre, soufflai-je tandis que nous remontions l'allée en graviers.

— Mais Jasper a obtenu gain de cause, relativisa Mæve, la population est désormais informée. Si les gens se cloîtrent gentiment chez eux, les dégâts pourront être limités.

Je hochai la tête et nous accélérâmes le pas.

La porte d'entrée à double battants s'ouvrit avant même que nous n'annoncions notre venue. L'étonnement s'étira quand nous nous retrouvâmes face à un jeune homme d'une vingtaine d'années. La méfiance s'empara de moi, puis je me détendis en constatant que ce n'était qu'un humain.

— Dieu merci, vous êtes enfin là. La maîtresse est folle de rage.

J'échangeai un regard avec Mæve. Déjà, le garçon s'éloignait, nous faisant signe de le suivre.

— Vous êtes seul, ici ? m'enquis-je en accélérant le pas.

Il tourna à peine la tête pour me répondre.

— Il ne reste que nous. Tous les vampires présents se sont volatilisés durant la nuit.

— Tu es un donneur, n'est-ce pas ? intervint Mæve en jetant un coup d'œil à ses poignets.

Je suivis son regard et découvrit que des bandages entouraient ses avant-bras. Pour la première fois, l'humain lui accorda un regard, comme si ses mots avaient titillé son attention.

— Oui, madame. Avez-vous faim ?

Un froid m'envahit en comprenant que ce garçon, pas encore adulte, tout juste un gamin, était utilisé comme une poche de sang humaine – et ce, volontairement. Alors que j'allais faire un commentaire, probablement m'emporter pour essayer de le raisonner, Mæve tendit le bras pour m'empêcher de faire une connerie. Elle secoua imperceptiblement la tête en pinçant les lèvres.

— Pas ici, articula-t-elle sans un mot à mon intention. (Puis elle s'adressa au gosse.) Non, je te remercie... ?

— David, madame.

— J'ai déjà mangé, David. (Ses doigts serrèrent les miens, comme pour me préparer à quelque chose.) Une prochaine fois, peut-être. As-tu remarqué quelque chose, dernièrement ?

— Je l'ignore. La maîtresse avait organisé un bal masqué, ce soir-là. Les invités étaient déjà dans le salon, la maîtresse arrive toujours en dernière lors de ces événements. À sa demande, nous déambulions de tables en tables pour proposer des apéritifs.

— Des apéritifs ? relevai-je. Quel genre d'alcool ?

Il était très facile de glisser de la drogue dans le punch ou directement au fond de verres en cristal. Pour la première fois, David se tourna vers moi en fronçant les sourcils. Le sens de ma question avait l'air de lui échapper. Mæve se racla la gorge.

— L'apéritif, c'était eux, Dala.

En imaginant des humainsallongés sur des nappes blanches, le corps offerts aux crocs de richissimes vampires,mon cœur se souleva. Nous empruntâmes une volée d'escaliers, et je remarquai que des bandages entouraient également les chevilles du jeune homme.

Du regard, Mæve m'implora de ne rien dire.

— Mais après cela, révéla David, plusieurs personnes ont été malades.

— Que s'est-il passé ?

— Le sang de Daniel n'a pas été au goût de certains invités, qui ont été pris de vomissements. Au cours de la soirée, peu de temps avant le vol, il a malheureusement été retrouvé inanimé dans un couloir.

Sur le coup, ma théorie sur le punch drogué à l'insu de tous était encore possible dans un coin de ma tête. Et lors d'une soirée où les humains remplaçaient le contenant, ceci était plausible. Glisser quelque chose dans la nourriture d'êtres dénués de sens surdéveloppés était aussi facile que de leur faire manger un ignoble cheeseburger. Il faudrait que j'en touche un mot à Mæve, mais uniquement lorsque nous serions hors d'ici.

À mesure que nous avancions au cœur de la bâtisse, un vacarme assourdissant nous parvenait, parfois accompagné de cris rageurs. David s'arrêta enfin devant une porte aux moulures dorées, et se décala sur le côté. D'un signe de la main, il nous invita à pénétrer à l'intérieur.

— Je vous en prie. La maîtresse vous attend.

Le sol trembla sous nos pieds quand un objet lourd fut projeté de l'autre côté. Du bois se brisa, du verre éclata et un déchirement de tissu résonna.

— Elle est avec quelqu'un ? demandai-je.

Le jeune humain s'inclina. Un morceau de pansement dépassait du col de sa chemise. Je reportai mon attention sur la poignée ornée de fin filigranes.

— Non, madame. Mais très en colère.

Au moins, nous étions prévenues. Mæve le remercia, puis je poussai la porte.

Nous fûmes plongées dans un chaos total, et l'objet qui nous fonça dessus nous prit par surprise. Le corps en pilotage automatique, je bondis aussitôt sur le côté, roulai sur un oreiller éventré et me relevai en me retenant de grogner. Je n'aimais pas être accueillie de la sorte.

Le vase en cristal avait éclaté à l'endroit où nous nous trouvions une seconde plus tôt, et Mæve se contrôlait bien mieux que moi. Disons qu'en tant que vampire, elle devait connaître un bon nombre de leurs us et coutumes.

Nous nous tenions devant une femme qui n'avait rien à voir avec la photo que nous avait montrée Jasper. Je doutais presque de son identité, jusqu'à ce que Mæve me fasse avancer de quelques pas, histoire de nous extraire des tessons de verre qui jonchaient le sol. Lorsque je la vis poser un genou à terre dans une gracieuse révérence, je la fixai en écarquillant les yeux, les bras ballants.

Ma copine le remarqua, et elle tira sans ménagement sur mon bras pour que je l'imite.

— Pas de vague, Dala, souffla-t-elle. Je t'en prie.

La crainte que sous-entendait son timbre me fit prendre conscience de sa terreur. Si Mæve, qui connaissait l'histoire vampirique sur le bout des doigts, anticipait cette entrevue, j'avais sérieusement de quoi m'alarmer.

Malgré mon instinct qui me hurlait de fuir cet endroit, je courbai l'échine. La sensation désagréable d'être mise à nue, sans défense devant cette créature qui pourrait me décapiter d'un mouvement de bras, me fit serrer les dents. Des frissons remontèrent le long de ma colonne, et je pouvais presque entendre les grondements agressifs de ma louve. Malheureusement, je ne pouvais que les imaginer.

Mæve, consciente de mon effort, posa la main sur la mienne. 

Entre ses griffes T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant