Chapitre 40 - Victoria

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Après plusieurs mois enfermés dans l'enceinte de mon centre, je savoure l'odeur de la liberté. Un goût de renouveau se répand sur ma langue. Je me sens mieux. Beaucoup mieux. Et pour m'en assurer, le test final.

J'enfonce une casquette aux couleurs de l'équipe de basket sur mon carré court. Je cale quelques mèches sur mon visage, espérant passer incognito parmi les supporters. Je me faufile dans la foule et prends place sur l'un des bancs dans un coin du stade. Je me réhabitue progressivement à la présence humaine autour de moi, après avoir fait un vrai travail en solitaire pour renouer avec moi-même.

Les cheerleaders emplissent l'espace. Je repère Mady rayonnante qui scanne les spectateurs. Elle me cherche. Quand elle a appris que je viendrais la voir aujourd'hui, à défaut de l'avoir vue remporter le championnat de cheerleading, elle était aux anges et m'a promis une prestation à la même hauteur, rien que pour moi. Nos regards s'accrochent et son sourire se multiplie. Mes yeux s'emplissent d'un voile brillant de joie. J'ai hâte de la serrer dans mes bras. Je lui ai promis un moment à deux après cette séparation difficile. Même si nos appels durant ma thérapie ont été un réel soutien. J'ai tenu grâce à elle, et à Tomas également.

Sous l'attention générale, un show à couper le souffle se déroule. Elle ne m'avait pas menti et je suis touchée de l'hommage silencieux qu'elle me fait. Elle, Romain et les filles. Je suis hypnotisée par l'enchaînement qu'ils effectuent avec précision. Les figures de voltige ont pris du niveau. Romain est définitivement un atout pour cette équipe. Portée par leur mouvement et transportée par leur aura, mon corps s'imagine les accompagner. Un rire sincère se dresse sur mon visage à rendre mes pommettes douloureuses d'être contractée. Je me joins à mes voisins pour leur ovation, fière de ce qu'ils ont réalisé. Je pourrais être envieuse d'être à leur place, mais ce n'est pas le cas, je suis seulement satisfaite pour eux.

À la fin de leur chorégraphie, c'est sous les applaudissements que les joueurs entrent sur le terrain. Tomas à la tête de l'équipe, John et Damien à sa suite. Mon cœur loupe un battement. Damien. Ses traits sont comme dans mes souvenirs, dépourvu de ses lunettes pour le match. D'une beauté singulière malgré l'absence de sourire. Pourtant, il dégage de la sérénité. Il est dans son élément, à sa place et surtout dans sa bulle. À aucun moment, il ne prête attention à ce qui l'entoure. Pas un regard vers le public. Son besoin, son oxygène, le jeu, le ballon.

L'équipe est soudée, coordonnée. Les passes s'enchaînent avec fluidité et les paniers avec. Je suis du regard toutes les actions mais mon attention est plus intéressée quand ce sont ceux que j'aime. Je le vis plus intensément. Mon sang bout, mon rythme cardiaque s'emballe.

Quand je vois Damien ainsi, j'ai envie de lui crier que je suis là, que je l'observe. Que s'il se sent perdu, submergé, je serais là pour le sauver, alors qu'en réalité, c'est lui qui m'a sauvée.

J'admire cet homme courir sur le terrain, dépasser ses peurs, terrasser ses doutes. J'admire cet homme qui a eu la force de me laisser partir, pour que je guérisse.

Oui, à cet instant, j'aimerais sentir son corps contre le mien, entendre le battement de son cœur répondre au mien. J'aimerais me plonger dans son regard, sans m'y noyer. Mais c'est encore trop tôt.

Si je suis là aujourd'hui, ce n'est pas en guise de retrouvailles. C'est mon test final. Un adieu. Une dernière image à imprimer dans mon esprit. Garder cette figure de lui heureux et effacer nos dernières semaines de déchirement.

Je suis soulagée, je peux partir en paix.

Parce que je l'aime encore.

***

La nuit est déjà bien entamée lorsque j'allume mon ordinateur. La lumière du réverbère devrait bientôt s'éteindre. Les volets du studio que j'occupe depuis presque un an maintenant se ferment sur le croissant de lune à peine visible. À une vingtaine d'Annecy, j'évolue désormais dans un village avec une vue imprenable sur le lac. La sérénité qui y règne contribue à ma paix intérieure. L'étendue d'eau me rappelle le lac de Serre-Ponçon qui n'était qu'à une trentaine de minutes de Fortagne, je ne me suis pas totalement dépaysé. Deux heures me séparent de Mady et Tomas qui ont migré vers Lyon après leurs études, quatre heures en train de la région Parisienne pour y retrouver ma mère. C'est un bon compromis.

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