Dix ans plus tôt

Prologue

Pendant un temps, je pensais voir un miracle se produire. Il avait souris pour la première fois à l'une de mes blagues.

Envoyé par son frère, Argos-Ajal Zaila était devenu mon patient il y a déjà quelques années. Il avait toujours été très réservé, en particulier sur la raison qui l'avait conduit à ma rencontre. À ce sujet, il était même mutin.

Depuis le début de ma carrière de psy, il était le cas qui m'avait le plus fasciné et le plus donné de fil à retordre. Pourtant j'avais longtemps vécu auprès de personnes jugées peu recommandables.

Je n'avais pas toujours été le garçon qui devait naturellement aider les autres autour de lui... Pendant un certain temps, j'étais même craint de beaucoup. J'étais devenu le chef d'un gang malgré moi, je n'en rêvait pas et tout le monde me suivait naturellement.

J'étais même le plus craint de la ville, tout le monde me connaissait, les gangs voisins essayaient de se frotter à nous mais en vain.

Argos-Ajal était bien différent. Il parlait peu, ce qui était sûrement dû aux différents traumatismes qu'il avait vécu. Ses parents étant décédés tôt, il avait grandi avec sa sœur pour tutrice, et ses frères avaient tenté d'être le plus présents possible. Tout ce que je savais sur lui me venait de son frère aîné.

— Moi aussi je l'ai trouvée drôle cette blague.

— Ce n'était pas drôle...

Je fus étonné d'entendre sa voix. Il ne répondait habituellement que par "oui" ou par "non", si ce n'était pas de simples hochements de tête.

— Pourquoi as-tu souri alors ?

— Ça m'a fait penser à ma sœur...

Il semblait tout à coup pensif, mais cela me rassurait. C'était la première fois que je l'entendais parler autant lors d'une de nos séances.

— Tu peux me parler un peu de ta sœur ? Comment elle s'appelle ?

— Connie-Kanoa.

Soudain je ressentis un vide. Ce nom, je le connaissais très bien. Associé à son nom de famille, je ne comprenais pas comment je pouvais être passé à côté.

Si Connie n'était pas venue me voir pour me confier son frère, il y avait forcément une raison. Je me posais tellement de questions à la fois sur elle et sur lui que je ne me rendais pas compte que je pouvais y répondre par moi-même.

Arrivé chez moi, je continuais à cogiter sur la question. Je ressortis toutes les feuilles que j'avais noircies lors des séances avec Argos-Ajal et lors des rencontres avec son frère. J'essayais de comprendre mais je ne tentais de répondre qu'à mes questions sans prendre en compte le problème en sa globalité.

Plongé dans mes pensées, je n'avais pas remarqué que quelqu'un s'était glissé derrière moi. Il m'enveloppa dans ses bras et déposa sa tête sur mon épaule.

— Tu travailles encore ? Tu pourrais faire une pause...

Je déposai alors les feuilles que je tenais dans mes mains afin d'attraper la sienne.

— Tu as raison, je devrais faire une pause... Je n'arrive pas à me concentrer, ce qui m'empêche de trouver des réponses à mes questions...

— Tu travailles sur quoi ?

— Tu te souviens de Connie-Kanoa ?

Il s'assit subitement à mes côtés tout en tenant mes mains.

— Ecoute... Si tu veux des réponses à tes questions, tu ne dois surtout pas te focaliser sur un seul et même point. Tu n'as qu'à enquêter sur sa famille entière, sur tout ce qu'ils ont vécu et sur leur proches, y compris toi, Seb.

— Tu as raison, merci.

Lentement, son visage se rapprocha du mien. Il ferma les yeux et déposa délicatement ses lèvres sur les miennes.