Chapitre 15 - Le rapace

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Souvent, les gardes face à ce qui était autrefois la salle du trône chantent un hymne loufoque en l'honneur de Régina d'Asphodel, l'ancienne reine de ce continent, ayant renoncé à ce titre au profit de l'ordre.

Régina est une femme que l'on ne voit toujours qu'en flou, et ceux qui ont l'insigne honneur de la rencontrer oublient tout du flou en question, peu après. Pourtant, ici-même, trois jours après son altercation avec Sonah, Celes se trouvait face à l'ancienne Reine. Il pensait voir une figure assez grande, aux longs cheveux blonds, mais c'est tout ce qu'il parvenait à discerner, en plus de sa tenue noire et blanche.

Elle se tenait assise sur ce qui était autrefois son trône, surplombant la salle. Et bien que son visage était indiscernable, son regard n'en était pas moins oppressant. C'est presque comme si une aura invisible entourait ceux qui se tenaient face à elle, prêts à les écraser d'un instant à l'autre.

"Mhh... Celes, disciple d'Edelweiss, membre de l'Institut Fortitudo. Me trompé-je ?"

"C'est bien cela."

"Quel est ton nom ?"

Il n'en avait pas. Il n'en a jamais eu. N'ayant pas connaissance de ses propres origines, il ne pouvait répondre à cette question que d'une façon.

"Je n'en ai pas."

"Ton nom."

Il semblait surpris. Il était sûr de parler suffisamment fort ?

"Je n'en ai pas, Votre Excellence."

"Fascinant, n'est-ce pas ? Un 'monstre ignorant', une 'erreur à éliminer' en a... Alors, as-tu plus de valeur que cet individu ?"

C'était les mots que Celes avait adressés à Sonah, et cela, sans erreur. Outre le fait que, le fait que Régina en ait connaissance soit inquiétant, le pire était sans doute l'humiliation volontaire et assumée.

"Je n'attends pas de réponse. Car à quoi bon, que peux-tu dire ?"

Elle se leva, tout en commençant à approcher.

"J'abhorre les lycanthropes... Ils incarnent la prophétie, cette guillotine, au-dessus de nos cous exposés et ô combien vulnérables ! Ils ne sont pas que des lupins humanoïdes, ils peuvent être bien pires, de la larve abominable à la chimère capable d'engloutir le soleil. Alors, je ne suis pas ici pour défendre celui que tu as attaqué. Je suis là pour te parler... En tant que chercheuse."

Celes leva un sourcil, perplexe. Régina n'a aucune expérience de chercheuse, du moins à sa connaissance. Dans tous les cas, il n'avait pas à répondre, et il n'en avait pas la permission.

"L'Institut Fortitudo a pour but de sauver. Vaincre la prophétie, comprendre d'où viennent les lycans, les éliminer. Sauver les masses de la liquéfaction ! Telle est ta mission. Et, lorsque des vies sont en jeu, il n'est plus question de moralité, s'il s'agit du bien universel. Comprends-tu ?"

Il acquiesça silencieusement. C'est, bien que cruel, cohérent. Sacrifier un pauvre millier de vies au nom de plusieurs millions, est-ce réellement immoral ?

"A ce titre, il faut traiter nos choses avec soin. Dont les lycanthropes... Tu as presque tué un lycanthrope personnellement gardé par Edelweiss. C'est si évident qu'il n'y a pas besoin de le mentionner : un sujet précieux. Tu aurais dû l'amadouer, le faire tiens."

"Ce serait... Mentir sur mes intentions."

"Si le bien universel est en jeu, le mensonge n'est pas, pas davantage que l'hypocrisie. Seul le résultat final compte, telle est la devise de l'Institut."

En temps normal, Celes serait d'accord. Mais ces temps-ci, il se sent coupable, peut-être trop pour son propre bien, ou était-ce simplement la peur des sanctions qui renforçait sa culpabilité.

"Quid des sanctions, à présent, mh ? C'est ce que tu attends, n'est-ce pas ?"

Il acquiesça silencieusement.

"Et bien la voici : tu es chargé d'apprivoiser le lycanthrope. Ramène-le vivant, via la violence ou non. Il ne doit pas, ou plus, être en mesure de montrer de l'hostilité envers l'Institut. Manipule-le, attaque-le, brise-le si besoin est, ce qui importe, est le résultat final. Puis, si Edelweiss s'interpose, tu n'auras qu'à mentionner qu'il s'agit d'une mission de ma part."

"Quand bien même, elle s'y opposera !"

"Tu dis cela simplement car tu ne veux pas."

C'était vrai. Celes avait l'impression de se faire lire, tel un livre ouvert, exposé au grand jour, mais Régina se contenta de sourire.

"Si elle s'oppose vraiment à ma sanction, elle s'attaquera à moi. Puis, ce lycan n'est qu'un sujet à ses yeux. Peut-être partagent-ils le même nom, mais à l'évidence, ce n'est que pour les apparences. Par ailleurs... Pour t'aider, voici une autre offre. Pose moi une question, peu m'importe laquelle, j'y répondrais. Tu pourras m'en poser une seconde une fois ton devoir accompli."

"Cela... Cela me convient."

"Et bien, je t'écoute."

"La lignée d'Asphodel est-elle liée au Déicide ?"

Régina souria un peu plus. Certes, il avait fait une erreur, mais il n'était pas entièrement stupide pour autant. Elle souffla un rire avant de reprendre.

"Naturellement. La fondatrice, Dracaena d'Asphodel, était le premier fragment du Déicide, la première qui s'est séparée du corps d'origine pour exister d'elle-même. Ainsi, le sang du Déicide coule dans nos veines, à Ameris et moi-même. Dilué depuis bien des années, nos capacités ne se comparent nullement à celles d'Edelweiss, qui elle, incarne une partie bien plus importante du Déicide."

"Ameris..?"

Car oui, Celes ne savait pas que Régina et Ameris sont de la même famille. Il n'avait pas particulièrement de suspicions, mais n'était pas surpris pour autant, en apparence du moins. Intérieurement, il prenait ça comme une autre trahison. Il avait confiance en elle, mais pas elle visiblement.

"Ameris d'Asphodel, ma progéniture. J'en déduis que tu ne savais pas..?"

"Et bien... Non, je ne savais pas. Je présume qu'elle cache son identité ?"

"En effet, en effet. Elle m'abhorre. Et-, j'anticipe, je ne te révélerai les raisons de ce mépris que lors de ta prochaine question."

"Soit. Toutefois... Je me doute que cette situation ne vous convient pas. Alors pourquoi ?"

"La réponse est évidente, ne penses-tu pas ? Je n'en ai cure, pour une simple raison : Je lui ai donné la vie, et je peux la lui reprendre."

Une réponse simple, effrayante, qui en disait déjà beaucoup.                                                                          Il n'y avait rien à ajouter.

Ad astra per asperaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant