Chapitre 1

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Perla Costa

Mais je n'ai pas le choix, ma puce, m'a-t-il dit. Sinon, on sera décapité.

On a toujours le choix, papa, lui ai-je répondu. Tu n'es pas obligé de vendre ton unique fille.

Je savais que c'était vain. Il ne servirait à rien de pleurer, de crier, de pleurer de colère, de haine, de rage, mais surtout de tristesse, d'impuissance et de déception. Le Consigliere du clan Ottavecce, une petite branche insignifiante faisant partie de la famille Cosa Nostra, avait décidé que. Je devais m'y soumettre, m'y conformer, et accepter mon avenir. Ma destinée.

La raison pour laquelle il avait décidé de m'offrir au futur Capo était la suivante : notre clan était ridiculement inutile. Cela faisait un moment que nos hommes ne revenaient plus des combats. Ils partaient, et ne revenaient jamais. On était de moins en moins. De ce fait, les bénéfices que nous étions supposés réaliser, grâce aux trafics d'armes et à tout autre genre de trafic, n'étaient plus qu'une poussière sur notre chemin. Un grain de sable balayé par l'eau terrifiante de la mer. Un grain de sable dérisoire. C'était ce que nous étions.

La famille Costa, la mienne, était avant tout une famille qui prospérait par le crime. On était importants pour la Cosa Nostra. Mais cette importance a décliné progressivement après la mort de notre chef. Il était le ciment qui nous rattachait les uns aux autres. Il était la raison pour laquelle chaque membre de notre clan se battait, tuait, et recommençait le lendemain. A sa mort, tout a dégringolé. Le clan Costa se désagrégeait. On a donc été rattaché au clan Ottavecce. Pour nous protéger. Au début, c'était mieux. On reprenait du service. Mon père était Consigliere du clan Costa, et il a repris son poste pour les Ottavecce. A cette époque, on avait l'impression d'être passé entre les mailles du filet.

Ça va aller pour nous, ma puce, a dit mon père lors de notre rattachement.

Il m'a menti. Ce n'était pas la première fois, mais c'était la première fois qu'il le faisait involontairement. Il n'y avait plus que nous, chez les Costa. Père, Consigliere, et fille, Soldato. Il avait été plus que difficile pour moi d'entrer officiellement dans la Cosa Nostra. Je répondais à chaque critère, sauf un : être un homme. J'ai dû faire preuve de ruse, d'intelligence, de force et surtout, de persévérance. Alors, lors d'un examen organisé pour recruter des Soldatos dignes de ce nom, je m'y suis présentée. Chaque homme présent m'a regardé avec mépris. Avec dédain. D'autres ont rigolé. D'autres, moindres, m'ont accueillis avec un signe de tête. Comme si, d'une certaine manière, ils acceptaient qu'une femme soit parmi eux. Du moins, qu'une femme tente sa chance. Parce qu'il était évident que cette femme allait être mise en échec, n'est-ce pas ? Pourtant, j'ai eu les meilleurs résultats dans chacune des disciplines. Il était impossible de nier l'évidence : j'étais au sommet de la pyramide et les autres n'étaient pas même capables de me frôler les orteils. J'ai donc été admise à la Costa Nostra. J'ai rejoint fièrement mon père dans notre clan. Avant que tout n'éclate. Avant que tous mes rêves et espoirs ne s'éparpillent comme des cendres au gré du vent.

Malheureusement pour nous, le clan Ottavecce est en plein déclin, lui aussi. Le clan allait être éliminé, avec tous les membres qui y appartiennent. On allait se faire tuer. Massacrer. Guillotiner. Décapiter. Sincèrement, on ne savait pas comment ça allait se passer. La Cosa Nostra était surprenante. Elle avait toujours beaucoup d'imagination pour les exécutions. Cette fois, nous n'avons plus de porte de sortie.

C'est ce que je croyais.

La porte de sortie que mon père avait trouvé était un mariage arrangé avec nul autre que Vicente Abruzzo. Le futur Capo de la Cosa Nostra.

D'une certaine manière, il nous sauvait.

Mais il me condamnait à bien pire que la mort.

MadrinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant