Chapitre 2

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Eusebio Abruzzo

Des gémissements.

Des plaintes.

Des cris de douleur, de souffrance.

Des coups.

J'attends de l'autre côté de cette pièce insonorisée. Mon côté est séparé du sien par une cloison murale, perpendiculaire à la pièce. Les gens à l'extérieur ne peuvent rien entendre, heureusement pour eux. Car moi, j'entends tout. Dans les moindres détails.

Je suis même capable d'entendre le sang gicler. Je suis capable d'entendre le sang éclabousser et s'écraser en gouttes contre le sol ou le mur. J'entends tout, jusqu'au dernier souffle de ses victimes, ainsi qu'au dernier battement de leur cœur.

Je suis assis dans mon fauteuil en cuir aussi sombre que la nuit. Les jambes croisées, vêtu de mon costume noir, je lève mon bras et regarde ma Rolex Day-Date 40.

Cela fait exactement une heure trente quatre qu'il est à l'intérieur. Une heure trente quatre à torturer ce pauvre malheureux. Qu'a-t-il fait déjà pour mériter un tel châtiment ?

Ah oui.

Je me souviens.

Il a regardé Vicente de travers.

Je soupire et secoue la tête, un léger sourire se dessinant sur mes lèvres. Ce qui est bien avec cette pièce, cette salle de torture, c'est qu'il est aisé de nettoyer. Je nettoie toujours derrière Vicente. Mais, lorsqu'il s'en prend à quelqu'un sans l'emmener ici, c'est toujours plus compliqué. Le sang s'imprègne partout. Il faut cacher le corps, parfois récupérer les morceaux découpés. L'ADN, les cheveux, les éventuels poils, la peau... Tout est complexe, dehors. Mais ici, ses délires et ses folies meurtrières sont contenues entre quatre murs.

Je perçois de moins en moins de bruits de l'autre côté. Je pose mon coude sur l'accoudoir de mon fauteuil et dépose mon menton sur ma main. Mon pied commence à se balancer de haut en bas, doucement. Je regarde par la fenêtre, cette fenêtre qui, de l'extérieur, ne permet pas de voir ce qu'il se passe à l'intérieur. Pratique, pour cette pièce, me dis-je. Je me fais cette réflexion à chaque fois que je viens ici, à chaque fois que je suis assis sur ce fauteuil en cuir noir.

À. Chaque. Putain. De. Fois.

Je n'ai pas le temps de soupirer une seconde fois que je vois la tête de Vicente, ensanglantée, tout sourire, passer à côté de la cloison. Je ne peux m'empêcher de sourire et de déglutir. Cet homme est effrayant, il est complètement taré, un vrai psychopathe. Cet homme, c'est mon frère. Mais je suis aussi son esclave.

— T'as terminé ? demandé-je.

Il hoche la tête en guise de réponse et repousse la cloison murale. Elle se replie sur elle-même. Il essuie la lame de l'un de ses couteaux et je me lève pour le rejoindre et constater les dégâts.

— Waw, t'as été sage aujourd'hui, plaisanté-je.

— C'est vrai que pour une fois, je n'ai pas utilisé tous mes instruments.

Il me jette un regard joyeux et pose une main sur mon épaule. Il la comprime sauvagement et je retiens un léger cri de douleur. Je ne veux pas lui donner ce plaisir. C'est comme si nous étions en compétition. Tout est compétition avec Vicente. Pourtant, je n'ai jamais été dans la course au trône, je n'ai jamais été compté comme un potentiel successeur. Je ne suis qu'un étranger, adopté par Giacomo Abruzzo, son père. L'actuel Capo de la Cosa Nostra. Le combat est vain car il a déjà gagné. Il a tout fait pour. Et il continuera. Son objectif est bien plus grand que ce que la mafia imagine.

Il relâche mon épaule et avance. Son dos me faisant face, je le regarde s'éloigner et je me masse l'épaule en toute discrétion.

— Je te laisse le soin de tout nettoyer, bastardo.

Bastardo, un des surnoms que Vicente m'a donné depuis que nous sommes enfants. L'enfant bâtard, c'est comme cela que l'on me considère, pour avoir été adopté par Giacomo. Je ne fais partie d'aucune famille. Celle d'origine m'a abandonné, et celle d'adoption se sert de moi.

Je ne fais partie d'aucune famille.

Je n'ai personne.

Je suis seul.

MadrinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant