Prologue

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La demeure d'Arthur du Château-Boisé brûlait depuis plusieurs minutes, une épaisse fumée noire montait dans le ciel sans lune, les flammes qui ravageaient le manoir devaient être visibles depuis plusieurs lieues.

Richard regardait ce spectacle sans un mot, trouvant que cette attaque avait été rapide et même un peu décevante. Le capitaine des Élitiens gisait à présent sur le sol, ses yeux éternellement clos, sa main encore crispée sur le médaillon à son cou. L'homme avait cherché à les attaquer, refusant de prononcer le Serment noir, comme persuadé que son acte de bravoure stupide laisserait le temps à son épouse de quitter la demeure en proie aux flammes, avec l'aide d'un Élitien.

Cela n'avait servi à rien, le feu avait piégé la jeune femme en pleurs. Son mari avait alors fait une action qui lui avait été fatale, s'élançant à la rescousse de son aimée, offrant aux Estaffes son dos sans aucune protection.

Cela avait été lâche de leur part de s'attaquer ainsi à quelqu'un dos à eux mais personne d'autre n'avait assisté à la scène . Personne ne pourrait ajouter cette lâcheté à la longue liste de leurs actes odieux, pas quand ils l'avaient déjà fait plusieurs fois avec d'autres victimes.

John Mid, un autre Élitien, avait bien été présent quelques minutes plus tôt mais à présent il agonisait sur l'herbe, recroquevillé sur lui-même. Arthur était celui qui lui avait asséné le coup fatal, dans le dos aussi. L'humain avait été l'un des membres les plus forts des Trente, un des plus expérimentés, mais à l'incompréhension de tous les Estaffes, il avait tenté de fuir comme un Apprenti qui venait de voir pour la première fois un camarade être tué lors d'une mission. Richard attendit que l'homme ait fini d'expirer pour faire demi-tour et repartir.

Jusqu'à ce qu'il entende un minuscule cri aigu et des pleurs.

L'Hélios se retourna vers la dépouille de John Mid, percevant des battements de cœur rapides alors que l'homme était pourtant bel et bien mort. Tybalt retourna le corps et la fratrie put voir que l'Élitien serrait encore dans ses bras un paquet de langes noires qui étaient passées inaperçues contre sa luide.

Des langes noires qui entouraient un minuscule bébé de quelques mois, le visage éploré.

– J'avais oublié que la fille d'Arthur de Château Boisé devait se trouver ici également, murmura William.

– Elle crie fort en tout cas, râla Tybalt.

– Tu m'étonnes, on vient de tuer ses parents je te signale, rétorqua Edward.

Le benjamin fusilla son frère du regard avant de reporter son attention sur le bébé qui pleurait à chaudes larmes.

Arthur s'abaissa à son niveau et défit un peu les couvertures qui retenaient le bébé. Celui-ci leur tendit alors des petits bras couverts de petites plaies et de sang. Clairement, la petite s'était faite attaquée par des nymphettes noires, sa peau en avait gardé la trace, les futures cicatrices formeraient bientôt des dizaines de petites étoiles sur ses bras.

– Que fait-on, on la laisse ici ? demanda Henri.

– À force de crier comme ça, un loup pourrait venir la manger, intervint Richard.

Pas qu'il en avait quelque chose à faire.

Les cris et pleurs de l'enfant redoublèrent d'intensité et les Estaffes perçurent sans difficultés que des animaux approchaient des lieux. Le manoir secondaire de la famille du Château-Boisé se trouvait près d'une forêt pour plus de discrétion et c'était déjà plus qu'incroyable que le feu qui dévorait la bâtisse ne se soit pas propagé aux arbres alentours.

– Les Élitiens ne tarderont pas, supposa Edward.

– On ne va pas les attendre jusque là quand même, rétorqua Tybalt.

– La pauvre, elle doit avoir mal... murmura Arthur.

Il attrapa les tous petits bras dans ses mains et murmura quelques paroles hélios. Une douce lueur verte entoura les mains de l'Estaffes qui caressa délicatement les petites blessures sur les bras du bébé. Après quelques secondes, il n'y avait plus rien.

– Tu viens vraiment de gaspiller de l'énergie pour soigner un bébé humain ? demanda Tybalt.

– Regarde-là, ça aurait été un crime de la laisser dans cet état !

– Ces blessures n'étaient ni graves ni mortelles, intervint William.

– Vous l'auriez laissé dans cet état ?! s'emporta Arthur. Vous êtes donc si cruels ?!

Richard plaqua une main sur la bouche de Tybalt qui était sur le point de rétorquer que oui, cruels ils l'étaient tous, qu'ils venaient d'assassiner froidement les parents du poupon. Cela n'aurait rien apporté à la chose, même s'il avait lui aussi du mal à comprendre ce que faisait Arthur. Leur frère était le seul à être ouvertement extraverti hors des heures où ils se battaient face à des humains, et avait une tendance à l'empathie plus qu'évidente.

– Louis Serra veut toujours nous faire signer le Serment rouge, ajouta William comme si de rien n'était.

– Et ?

– Et... nous avons une monnaie d'échange supplémentaire pour négocier ce serment à notre avantage...

Leur aîné pointa le bébé du doigt qui avait cessé de crier à plein poumons et qui semblait examiner ses bras tout juste soignés.

– Non...

– C'est la fille d'Arthur du Château Boisé, les Élitiens pourraient nous céder beaucoup de choses en échange... expliqua William. Je conçois qu'ils nous offriraient davantage si elle était née garçon, les Élitiens l'auraient fait entrer dans l'Élite dans l'optique de venger sa famille, mais même une fille nous offrira des avantages en tant qu'otage.

Richard songea que son frère devait avoir perdu l'esprit pour proposer quelque chose de ce genre.

– Non, vous délirez, marmonna Tybalt.

Henri s'agenouilla à son tour face au bébé et l'examina avant de lui caresser un peu la joue. La fillette fit une moue surprise et Richard craignît le pire.

– Elle doit avoir faim, il faut bien la nourrir quand même, déclara Henri.

Richard contempla avec une certaine désolation le spectacle de trois de ses frères qui le regardaient avec un espoir ridicule dans les yeux. Tybalt de son côté semblait prêt à se cogner la tête sur un arbre pour voir s'il était en plein rêve. Edward se contentait de lancer des regards circonspects vers tous les membres de la fratrie.

– Ce n'est pas un animal de compagnie, c'est un bébé, tenta de raisonner Richard.

– Ce n'est que pour quelques semaines, elle sera une monnaie d'échange, rétorqua William. On va pas l'adopter quand même.

– Non bien, sûr que non, assura Henri avec aplomb.

Richard ferma les yeux un moment, essayant de s'imaginer suivre le plan délirant que ses frères commençaient à dresser.

– Edward, Tybalt, qu'en pensez-vous ?

– Je pense que la fumée vous a rendu l'esprit flou et que dès que vous aurez respiré de l'air frais vous allez retrouver la raison, affirma le benjamin.

– Je... peu importe. De toute façon c'est William qui décide, rappela Edward d'un air indifférent.

Leur aîné se redressa tandis qu'Arthur soulevait le bébé dans ses bras et s'amusait à lui faire des chatouilles.

– Alors c'est décidé. Nous l'emmenons avec nous.

Richard ne protesta pas, regardant juste un moment le véritable père du bébé. Il se pencha sur lui et lui retira son médaillon. Un petit portrait de l'homme, de sa femme et de leur enfant était peint dedans, ainsi que les noms de la petite famille.

Il enfouit le médaillon dans une poche de sa cape, espérant de tout cœur que la situation ne deviendrait pas plus étrange encore.

Marie-Marie chez les EstaffesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant