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           Soen

Que quelqu'un me sorte de là.

Ces mots résonnent en boucle dans ma tête depuis que je suis attablé face à lui. Assis sur ma chaise en acier , je laisse de temps à autre de vagues "oui" s'échapper de ma bouche. Peut- être que comme ça, il aura l'impression que je l'écoute. Ou peut-être que non. En réalité, je m'en contrefiche, de son impression et de l'image ou illusion que je renvoie.

Je le devine. Il le crie presque. Il est certain que je vais acquiescer , que je vais le suivre dans ses perspectives et projets. C'est la seule chose qu'il attend de moi. Il a beau avoir une grande affluence auprès de nombreuses personnes, avec moi, ça ne marche pas. Ou petite nuance, ça ne marche plus.

Il marque une pause dans son "discours", que je connais si bien à force de l'entendre et attrape son verre avant de descendre le liquide d'une traite. Je dis bien discours car il l'a travaillé ce fichu texte. Il a concocté les meilleurs arguments comme s'il essayait de me convaincre de voter pour lui lors des élections. C'est vrai qu'il a l'art et la manière d'influencer les individus autour de lui. Un certain temps, nous avons même fait partie de ces "individus".

Il utilise habilement le pouvoir qu'est la parole. Il la manie si bien qu'il arrive à ranger les personnes de son côté.

Mon père est habillé d'un pantalon de costume gris et d'une chemise blanche. Sa cravate est légèrement dénouée. Son straight Coat repose négligemment sur ses épaules. Pourquoi ne pas simplement le poser sur le dossier de la chaise? J'imagine qu'il tente de se donner un style. Pour séduire?

-Qu'en penses tu ? me questionne mon père


Il pose enfin la question.

Mon regard vagabonde entre les personnes présentes autour de moi. Que des gens huppés. Les néons blancs et jaunes clignotent avec insistance. Le style du restaurant est assez moderne. L'environnement semble épuré bien que les clients soient tous aussi fourbes que méprisants. Dans ce genre d'endroits, il faut simplement respirer l'élégance et renvoyer une image soignée de soi.

Lorsque je me reconcentre enfin sur la personne qu'est mon paternel, je remarque son appréhension grimper en flèche à l'idée de ma réponse. Le temps que je prends avant de répondre à sa question commence à le faire douter. Et cela m'amuse.

Le fait qu'il se gratte avec insistance le trahit. Il joue aussi nerveusement avec sa rolex, qu'il tourne distraitement autour de son poignet. Il ne se permet ces écarts que devant moi. Je suis le seul à connaître son vrai visage. Devant les autres, il adore étaler sa science pour leur forcer inconsciemment le respect. Son excès de zèle me tape sur le système. Il se montre toujours sûr de lui, en général.

" Je l'adore, ton père. Quel grand homme." " tu as de la chance de l'avoir"

-Pour le bien nôtre relation presque inexistante et si tu ne veux pas qu'elle se détériore encore plus, il vaudrait mieux que je ne réponde pas dis-je d'un ton sec et acerbe.

A l'entente de ma réponse, son sourire se fane aussitôt. Il a bien compris que son ton mielleux et malgré les pincettes qu'il prend , le sujet reste tout de même délicat. Mon avis ne change pas . Il demeure négatif. Mon père ne peut pas arriver du jour au lendemain , comme si de rien n'était et me forcer la main.

Je ne rentrerai pas étudier dans l'Ivy League. J'en ai que faire de ces universités. Je ne sais pas encore quel est mon projet d'orientation. En revanche, je sais une chose: ce n'est pas à lui de décider pour moi.

MOVE FORWARDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant