Chapitre 5 : Fred Marquand

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  Le courrier dans la main gauche, les clés dans celle de droite, il monte les escaliers d'un pas tonique. Une fois chez lui, un brouillard sombre apparaît devant ses yeux. Il se les frotte, se tient la tête. Marquand se tourne et dépose le courrier sur la table. Il lui paraît bien lourd.
La gorgée d'eau qu'il a ingurgitée avant de s'assoir lui fait le plus grand bien. Le commandant ouvre son courrier, pour la plupart, rien de nouveau. Mais le dernier est lourd. Il ouvre cette enveloppe marron sans prêter attention à l'écriture, puis en sort un joli carnet noir avec des motifs bleus. Le petit mot collé dessus attire son regard :
"Vous en avez besoin. Il est à vous, écrivez-y ce que vous voulez, mais de grâce, soulagez-vous."

  Un sentiment d'incompréhension s'éprend de lui. Il feuillette le petit carnet ; les pages sont blanches et contiennent des lignes horizontales assez espacées pour accueillir l'écriture d'une quelconque personne. En souriant, il cherche un stylo. Puis il se souvient.

  Dans sa lointaine enfance, il avait pour habitude d'observer tout ce qu'il ne comprenait pas. Et cette jeune fille à la chevelure brune en faisait partie. Elle était à peine plus âgée que lui, mais l'intriguait énormément. Chaque soir, avant de dormir, elle sortait son Journal de sa cachette et le feuilletait avant d'y retranscrire sa journée.

  Il dépose son manteau sur la chaise et s'y installe. Il est en place. Un stylo en main. Le carnet ouvert à la première page. Mais rien ne vient.
Le commandant s'impatiente, puis s'apprête à écrire. De cette façon, ses pensées lui viennent et il les dépose sur les feuilles de ce joli carnet noir.

"Je ne sais plus trop écrire depuis que j'ai fini mes études. C'est bête. Tout le monde sait écrire et pas moi. Je ne sais pas d'où vient ce carnet et je pense que je vais vite le refermer. Mais bon.
Comment commencer ? Par ce dont j'ai envie. C'est ce que m'avaient dit les filles de ma classe, quand je voulais faire comme elles et me lancer dans l'écriture d'un livre. J'ai plus jamais su tenir un stylo.
Un collègue est mort. Noah Diacouné. Lieutenant de police. Il s'empiffrait de bonbons et de sucreries, c'était le meilleur. Il me rappelle Italo. Toujours calme et silencieux, mais clair dans ses pensées. Rien de travers.
J'ai laissé Alice seule alors qu'on passait une bonne soirée. C'est bête ça aussi. J'ai mis Léa dans la discussion et ça a dérapé. Pourtant, elle aussi, elle est allée avec son doc.
C'est pas mon truc d'écrire mais apparement je suis résolu à ça. Qui m'a envoyé ce carnet : aucune idée. Peut-être la mère de Noah ? Non, on lui a donné l'adresse d'Alice, pas la mienne. Je ne sais pas.
On travaille ensemble depuis assez longtemps avec Alice. Elle est juge d'instruction.
Les affaires, on les résout ensemble. C'est pas toujours facile de bosser avec quelqu'un qu'on...qu'on aime. On va pas se mentir.
Je l'aime déjà ce carnet.
Il est tard, le mieux serait que je dorme. Je n'en ai pas vraiment envie. Mais je n'ai plus de forces. C'est elle. Elle m'appelle. Je vais répondre."

[Conversation téléphonique]
Marquand : Ouais.
Alice : Marquand... je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça je suis désolée...
Marquand : Je ne vous en veux pas. Bon sur le moment...
Alice : Je comprends... On ne va pas finir la soirée comme ça... Ce serait dommage, non ?
Marquand : Je suis crevé. On se voit demain ?
Alice : Victor ne sera pas là demain et... Je n'ai pas très envie d'aller travailler. On pourrait passer la journée ensemble ?
Marquand : Je vous rappellerai.
Alice : D'accord. Bonne nuit commandant.
Marquand : Bonne nuit madame le juge.
[FIN]

"C'est vrai ça. On se voit tous les jours et on ne se dit jamais qu'on s'aime. C'est jamais clair. Y a des hauts et des bas mais jamais... C'est comme si on n'avait pas le temps, comme si ça n'avait pas d'importance, alors que ça en a. Je dors mieux quand on se quitte le sourire aux lèvres. Quand on se verra demain, j'essaierai de lui dire. À ma manière."

Alice Nevers, juge d'instructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant