Chapitre 8 : La volière sans plume

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Impuissante, Vive regarda Holly la quitter menotte au poignet, et écouta les chuchotements indécents porter par le vent qui soufflait jusqu'à leur épuisement. Elle avait l'impression d'être le personnage secondaire d'une histoire, dont la seule mission avait été de mener le héros jusqu'à sa prochaine quête. Le genre de figurant qui n'achèvera rien dans sa vie d'assez sensationnel pour mériter plus de quelques pages dans un roman.

 Alors qu'un sentiment de découragement tenta de s'emparer de son cœur, Vive secoua la tête et se tapota les joues pour ne plus y penser. Elle deviendrait une grande aventurière, son épopée ne faisait que commencer. Peut-être qu'un jour elle recroisera Holly en escaladant une montagne hivernale ou en naviguant sur les eaux de l'ouest. À ce moment-là, une fois accomplis, ils referont un bout de voyage ensemble, d'égal à égal.

De toute façon, mieux valait qu'elle s'éloigne de lui pour l'instant, la nuit dernière elle avait hésité à le poignarder. D'ailleurs, la voix ne s'était plus manifestée depuis cet instant. L'avait-elle vexé ? Tant mieux, la remonteuse ne souhaitait plus jamais avoir affaire à elle. Certainement était-elle un esprit qui hantait la forêt. Vive frissonna à l'idée d'avoir énervé un être surnaturelle, elle n'y remettrait pas les pieds de sitôt, à moins qu'elle ne demande à se faire maudire. Espérons que ses supérieurs ne la renvoient pas là-bas.

Doucement, elle se dirigea vers la faculté de remontologie. Elle avait hâte de se vanter d'avoir réussi sa première mission. Le campus grouillait d'étudiant lui rappelant des bons moments. Pressés de se rendre à leur prochain cours, ils évitaient habilement des chèvres d'arganier qui pâturaient la pelouse pour la tondre, c'était jour de jardinage. Au loin, elle vit le vieux gardien remonter des bourdons pour polliniser un parquet de fleur. Elle fit profil bas en passant devant lui, les souvenirs de toutes ses punitions qu'il supervisait encore frais dans sa mémoire, à ça, elle en avait vidé des ventres de chèvre qui ne pouvaient pas digérer l'herbe et ramasser des bourdons qui n'avaient plus d'énergie. Tout ça, parce qu'elle avait taillé des ailles à un cheval pour en faire un pégase. Il était interdit de construit des animaux mythiques, seule pouvait fouler cette terre des bêtes originalement esquissées par les Dieux, tel était la loi soumit par l'église. Sur le papier, Vive était d'accord avec cette règle, cela empêchait de créer des abominations, mais dans les faits tout le monde la contournait. À l'abri des regards, contre un peu d'argent, les diplômés construisaient toute sorte de créature. Suite à l'embrigadement obligatoire des menuisiers, les remonteurs avaient pris leur place, bien qu'on ne leur apprenait pas spécifiquement à travailler le bois. Dès qu'elle avait quitté les bancs de la fac, plusieurs nobles lui avaient envoyé des contrats d'embauche, apparemment posséder un griffon dans son salon était la dernière tendance stupide à la mode.

Même les institutions publiques, sous couvert de respecter les lois, se parer de monture disproportionnée. Ainsi, des renards immenses gardaient des coffres de banques et les policiers patrouillaient à dos de chiens de chasse. D'un certain point de vue, on pouvait même dire que les zoo, qui n'exhibait ni poussin de la taille de vache, ni dragon cracheur de feu, était hors-la-loi étant donné qu'il mettait en avant des animaux exotiques dans un écosystème qui n'avait rien à voir avec le leur. Pas sûr que les Dieux qui avaient placé spécifiquement les dauphins dans l'océan aient prévu qu'ils se retrouvent au milieu d'un parc dans un circuit de rail à tourner en rond comme des poissons rouges.

Bien loin était le temps, où les bêtes de bois étaient uniquement lâchées dans la nature pour provoquer le désir chez les derniers animaux de chaire, garder leur semence en stock et parcourir des kilomètres pour trouver une femelle à imprégner. Leur devoir n'étaient plus seulement d'intégrer des meutes pour protéger leurs membres, aider à trouver de la nourriture, ou élever les petits perdu et orphelin. Désormais, dans les grandes villes en tout cas, ils étaient relayés au rang de décoration ou de main d'œuvre. Boucle d'oreille de coccinelles, araignées couturières, choral d'oiseaux, ils avaient intégré les villes plus encore que les forêts. Vive savait qu'il ne s'agissait que de machine sophistiquée, mais elle n'aimait pas le traitement oisif qu'on en faisait. La distinction entre être vivant et objet à notre service s'amenuisait. Si bien qu'on ne prenait plus rien en considération, comme une sorte de déshumanisation pour les animaux. De ce fait, il devenait simple de justifier des actes cruels, ces morceaux de bois étaient remplaçables. Pourtant, ils ressentaient, comme les hommes, des émotions.

Vive et le monde penchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant