Depuis ma plus tendre enfance je me souviens de ce vide, ce vide béant au fond de ma poitrine. Au début cela faisait mal et je ne comprenais pas d'où il venait mais au cours de ma vie j'ai appris à survivre avec.Plus jeune, ce vide était relié à l'alcoolisme de mon père, à ces week-ends passés seule à le regarder tituber et se prendre les murs. Ces week-end étaient longs, j'étais perdu dans cet appartenant seule, livrée à moi-même, mais d'un côté, je ressentais aussi un sentiment de sûreté car finalement, c'était davantage mon appartement que le sien.
J'ai passé de longues soirées dans ma chambre, pleurant ma solitude et ce vide que je ne comprenais guère. Plusieurs fois mon père m'a oublié à l'école, aux brocantes, chez des amis. À cette époque je pensais que c'est toutes ces petites choses qui avaient créé ma peine, ce vide. En grandissant ce vide s'est intensifié, en partie par mon adolescence.
Mes premières amourettes ont beaucoup joué sur ce vide, j'ai toujours été la bonne copine assez sympa pour être appréciée mais jamais assez belle pour être aimée. Évidemment quand on est ronde et jeune, la vie n'est pas très gentille, et pour ne rien arranger, plus ce vide grandissait, plus je mangeais. Je voulais remplir ce vide en engloutissant tout, au point de me dégoûter de la nourriture et même de ma personne.
Je me souviens de ce jour en classe de troisième où je suis rentrée dans le bureau de l'assistante sociale de mon collège. Elle m'a demandé ce qu'elle pouvait faire pour m'aider et j'ai tout de suite fondu en larmes. Comment expliquer ce que je ne comprenais pas ? Je parlais de mon père et de ce qui me préoccupait mais je crois n'avoir jamais mis de mot sur mon mal être, pourtant j'ai vu cette femme pendant des heures.
La rentrée au lycée a été un nouveau tournant. Nouvel établissement, nouvelles personnes, nouvelle moi. J'y ai cru. J'ai cru que ce vide finirait par partir mais non. Le lycée m'a bien fait comprendre que cette peine était toujours là. J'ai fini par croire que cette peine et que ce vide était créé par moi, par le fait que je sois trop... Si on me demandait de me décrire je me décrirais comme étant de trop, trop ronde, trop bruyante, trop présente, trop sentimentale, de trop pour ce monde. Parfois je me suis laissée tomber dans ce vide qui me semblait insurmontable. Je laissais ma peine m'envahir et posséder tout mon corps. Je me déteste pour ça, parce que je me trouve lâche de m'abandonner à de si petits soucis alors que certaines personnes vivaient pire.
Lors de ces années, j'ai rencontré celle qui réussira à combler ce vide mais qui m'apprendra également que laisser quelqu'un trop proche de ce vide n'est pas bon. Je me suis abandonnée à elle, je lui ai donné chaque parties de moi, je ne le regrette absolument pas, bien au contraire, cette fille m'a apporté tellement de choses. Elle m'a appris à aimer, à rendre quelqu'un heureux et fière, à me battre pour ceux que j'aime. Je lui donnerais même ce que je ne pourrais pas avoir. Elle m'a appris aussi que ce vide peut te faire souffrir à un point inimaginable quand tu n'arrives pas à faire comprendre ce que tu ressens. Au début j'ai essayé de me faire comprendre et j'ai vite compris que tu ne peux jamais faire comprendre aux gens ce que tu vis, alors j'ai arrêté de m'expliquer et je me suis tus. Avec elle, mais aussi avec tous les autres.
J'ai vite remarqué que quand tu te tais, les gens ne font plus attention à toi. Après tout, tu n'apportes plus grand chose. J'ai donc décidé de porter ce vide seule car finalement, mes épaules sont assez larges pour supporter tout ce poids. À certains moments, je pensais que ce vide avait disparu, mais non, c'est juste qu'il me privait de sentiments. Alors oui, je ne sentais plus sa présence mais je ne ressentais surtout plus rien. Je ne me reconnaissais plus, j'errais seulement. Chaque jour se ressemble, une boucle infernale que je vivais seule. Un rien me mettait à bout et je passais mon temps à attendre. Mais attendre quoi ? Me demanderiez-vous, encore aujourd'hui je ne sais pas. Je voulais changer de vie, de corps, de moi. Je préfère aimer les gens plutôt que de m'aimer moi, alors je me suis laissé tomber dans cette dépendance. C'était pour moi le seul moyen de ressentir quelque chose. Encore à présent il est dur de m'éloigner de cette dépendance si nocif à ma vie, parce que oui, quand tu es prête à tout pour les gens mais que tu ne fais même pas le strict nécessaire pour ta personne, c'est à ce moment-là que tu te perds. Quand tu mets trop d'importance sur le fait de faire plaisir aux gens, tu ne sais même plus ce qui te fais plaisir. Tu deviens une version 2.0 de ta personne, un caméléon. Tu cherches à t'adapter à tous, pour être aimé de tous. Mais finalement personne ne connaît le vrai toi, alors comment les gens peuvent t'aimer sincèrement ? Ils aiment ce que tu fais paraître, mais aimeraient-ils la fille seule et désespérée que tu es réellement ? Comment les gens peuvent t'aimer alors que tu ne t'aime pas toi-même ?
Et finalement, un jour j'ai compris. Durant toute ta vie tu seras ta plus grande compagnie, tu découvriras que tu peux aimer les gens à un point inimaginable mais que tu ne peux jamais les forcer à t'aimer autant, et que finalement, la seule personne que tu peux aimer le plus et qui te donnera tout en retour : c'est toi. Ces mots ne sont pas un S.O.S., au contraire, c'est l'espoir qui m'anime. Ce vide peut parfois faire mal, c'est vrai, mais c'est aussi une grande partie de ma personne, c'est comme ça que je suis, que je ressens les choses et que je les vis. Aujourd'hui j'écris ces mots pour m'en débarrasser, je veux vivre et non survivre. Je veux pouvoir profiter de ma jeunesse qui commence à peine, de ces gens formidables qui m'entourent, du soleil qui réchauffe ma peau et mon cœur en ce début de printemps. Alors oui, ce vide sera toujours présent mais ce soir, je décide d'en faire mon espoir, l'espoir de remplir mon corps de tous ces souvenirs qui ont fait de moi la personne merveilleuse que je suis aujourd'hui.