Partie unique

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Emma Anderson réajusta l'écharpe autour de son cou et pressa le pas. Dehors la nuit était tombée et les lumières éclairaient la rue encore un peu bondée de la ville, mais elle ne s'attarda pas à la contempler.

Trois mois.

Elle secoua la tête, effaçant cette pensée qui lui revenait sans cesse et poursuivit sa route d'une marche soutenue jusqu'au métro. Lorsqu'elle ressortit de celui-ci et regagna la surface, elle sut qu'elle n'était plus très loin de chez elle. Il lui faudrait dix minutes environ pour traverser la grande rue et prendre la direction de son petit quartier tranquille. Mais elle s'arrêta un instant, le regard rivé vers les boutiques de restauration et cette pensée lui revint comme une claque : Trois mois.

Et elle se remit à marcher. Emma n'avait pas toujours été aussi pressée de rentrer chez elle, avant, même en temps de pluie ou de vent fort, elle traînait un peu en ville, et plus particulièrement dans ce bar. Elle avait voulu oublier cet incident, l'enterrer bien profondément en elle comme un mauvais souvenir qui se serait estompé avec le temps. Mais elle n'y pouvait rien, elle pensait à ça, à elle et à cette putain de chute.

Il y a trois mois elle vivait avec une femme, Stella Vermand, charmante et adorable. Elles s'aimaient, oh que oui elles s'aimaient plus que tout. Elles s'amourachaient le matin dès l'aube jusqu'à la nuit sombre éclairée par les étoiles. Cependant, elles n'avaient pas été à l'abri de cette dispute. Tout avait commencé un matin après qu'elles se soient allées balader le long du port. Elles s'étaient beaucoup amusées, avaient discrètement flirté aussi, avant que l'affreuse vérité ne frappe Anderson. Son amante venait d'une bonne famille, aussi aimante que respectable et elle n'avait pas toujours été attirée par les femmes. Par ailleurs, Emma avait été sa première. Alors quand elle l'avait vue si heureuse face à cette enfant (la fille d'une amie qu'elles venaient de croiser), la jeune femme n'avait pas pu s'enlever l'idée qu'elle n'était qu'un obstacle à son futur. Elle lui apportait beaucoup de bonheur, certes, mais ce n'était pas comparable à celui que pourrait lui donner un enfant, son enfant, avec un homme qu'elle aimerait.

Tout était parti de là. Les cris, l'évitement, la peur, l'angoisse, la tristesse, la frustration, la colère, et toutes ces émotions qui les avaient menées jusque-là.

Alors qu'Emma avait ordonné à Stella de la laisser, celle-ci, perdue entre sa colère et l'amour qu'elle lui portait, était tombée dans les escaliers. Malheureusement, même si Emma lui avait tendu sa main pour la rattraper, leurs doigts ne firent que se frôler et elle s'effondra au sol.

Lorsque Vermand avait ouvert les yeux, elle se trouvait dans une chambre d'hôpital, avec pour diagnostic une amnésie sur les trois années précédentes de sa vie (pas dans leur globalité, mais la présence de son amante s'était évaporée comme un doux cauchemar).

Bien évidemment Emma avait été détruite par ces quelques mots « Qui-est-ce ? », et dans son égoïsme elle s'était bien gardée de lui révéler la vérité. Elle avait ainsi demandé à ses amis, aussi collègues de travail, ainsi qu'à ses parents de ne rien faire, de lui cacher son existence et de ne jamais lui dire qu'elles avaient été amies, amantes, amoureuses et même fiancées. Les proches avaient voulu savoir la raison de cette supercherie car ils n'avaient pas été d'accord avec la blonde sur sa décision, mais ils comprirent que – au-delà de cette raison cachée – la souffrance de la voir sans souvenir lui serait insurmontable.

Elle devait aller de l'avant, et laisser Stella prendre un nouveau départ.

Trois mois. Trois mois qu'elle tentait vainement de tourner la page sur un bonheur irremplaçable en se disant que c'était pour le mieux.

Oublie moi mon amour [OS]Where stories live. Discover now