𝘈𝘱𝘯𝘦́𝘦 - 08

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Il fait bien trop chaud pour porter une veste de costard. Jungkook a quand même tenu à en mettre une. Il se tient le dos droit, les mains crispées l'une sur l'autre. Impossible de feindre l'attitude détendue. Son corps est une brique parsemée d'aiguilles. Le moindre geste le fait grincer des dents.


Il y a un peu de monde. Jungkook ne reconnaît pas un tiers des personnes présentes. Des oncles éloignés, des arrières petits cousins, de ces personnes que seule la mort réunie. Les visages sont fermés. Jungkook se tient un peu à l'écart. L'église a été construire excentrée du village, quelques pas et il pourrait se jeter dans la mer. Le bruit des vagues ne couvre pas le cri sourd des cloches. Le soleil écrase les pierres blanches du parvis. Les chaussures fermées brassent la poussière. Marie est au cœur des attentions, juste devant les portes en bois. Elle embrasse toutes les joues et passe de bras en bras. La solitude est absolue, son mari se tient en retrait, le regard figé sur les ajoncs dorés. Son visage fermé, les mains dans les poches, il adresse des regards absents - de ces yeux voilés, comme deux billes laiteuses et dépourvu d'âme.


Le corbillard, qui ressemblerait presque à n'importe quel SUV : massif, noir et diesel, provoque un nuage de sable. Les invités détournent les yeux et cachent leur bouche. Deux types s'avancent en t-shirt blanc, manches trop courtes sur des bras flasques. S'ils ne sortaient pas de la voiture, Jungkook les auraient confondus avec les intérimaires de la mairie -ceux qui ramasse les plastiques sur la plage.

Le premier n'arrive pas à masquer sa surprise lorsqu'il empoigne le cercueil. Jungkook sent son cœur se comprimer. Il pensait déjà ne plus avoir d'air et son corps lui prouve qu'il peut se restreindre encore. Serrer ses organes, les plier en tous petits bouts qui lui piquent les os. Taehyung attrape sa mère par le bras. Jungkook sent l'espace se détendre. L'église s'éloigne, avec sa foule de petits bonhommes en noir. Son corps pourrait basculer en arrière, il sent son équilibre vaciller. Le murmure de la mer plus fort que celui des cloches. Jin est arrivé. Jin est là. Une mouette geint, suivit d'une autre. Elles tournent autour du clocher sans se poser. Jungkook a envie de leur hurler de partir, et puis hurler sur la foule aussi. Courir, faire tomber le cercueil, récupérer le corps de Jin et plonger dans la mer. Le garder contre lui, asperger son visage endormi d'eau, le ramener.


Les oiseaux continuent de le moquer, les cloches de l'assommer. Le soleil fait goutter la sueur sur son front et rend sa vision floue. Jin est là, à quelques pas.

L'idée du corps, habillé, embaumé, maquillé, lui donne la nausée. Jin n'a pas juste disparu, il reste de sa chair, de ses cellules, et toutes se nécrosent dans une boite trop étroite, bientôt sous deux mètres de béton. Les oiseaux prennent un malin plaisir à s'égosiller de leurs voix de crécelle. Elles attendent le moment où descendre en piquer pour arracher un morceau de chair.

Jungkook sent sa vision devenir flou. Une main fraîche sur sa joue le ramène à la réalité. Les mouettes se sont tues.


« Tiens, bois un peu avant de rentrer. »

Taehyung tend une bouteille trempée de condensation.


« Je sais pas si je vais rentrer.

- Tu peux le faire. »

Il cherche quelque chose dans ses yeux. Taehyung s'est fermé. Jungkook ne peut en tirer aucun soutien. Le garçon se tient là comme son père, les mains le long du corps, l'âme absente. Ses yeux sont devenus des fenêtres sur le néant. Jungkook fait un pas. Le sol en pierre est trop dur et la douleur remonte le long de ses tibias. Un pied dans la tombe. Le frisson du froid de l'église ressemble aux grandes mains de Jin.

𝖲𝗒𝗓𝗒𝗀𝗂𝖾 |TaeKook| p a u s e .Où les histoires vivent. Découvrez maintenant