Tome 2 - True Love

Chapitre 30

     Assis en tailleur sur le tapis près de son lit, Cassien faisait défiler quelques photos imprimées entre ses mains, un sourire amusé sur les lèvres. Il était obligé de retourner certains clichés pour en comprendre le sens car ces derniers avaient été pris de la main de sa sœur, une sœur qui aimait visiblement mettre son gros doigt devant l'objectif. D'autres le représentaient en plein parcours de vie : sur son vélo, la toute première fois qu'on lui enlevait les roulettes et qu'il s'étalait sur le sol, s'écorchant les genoux mais remontant fièrement sur l'appareil sans même laisser échapper une seule larme ; lui, brandissant victorieusement une dent de lait à la caméra, aux alentours de ses huit ans ; en couche-culotte, en plein rire, fixant quelque chose hors champ ; boudeur, assis sur un canapé, au côté de sa sœur qui coiffait une poupée dépareillée ; soufflant les bougies sur son gâteau des onze ans ; le pouce coincé entre les lèvres, la tête ensommeillée en appuie sur l'épaule de sa mère, visiblement lors d'un repas de famille. Des tonnes et des tonnes de souvenirs qui s'étalaient devant ses yeux.

     Il rangea précautionneusement les photos après en avoir parcouru la totalité, se promettant d'acheter plus tard un album. Il referma ensuite la boîte pour la glisser sous une étagère de chaussures, au fond de son armoire. Dans le dernier carton qu'il n'avait pas encore déballé restait une petite boîte verte, fermée par du scotch. Curieux, il la secoua légèrement sans parvenir à identifier son contenu.

     Il l'emmena donc avec lui jusqu'à sa cuisine, chercha une paire de ciseaux et coupa le film transparent qui la maintenait close. Là, sur sa table-bar, face à son salon, une flopée de souvenirs d'adolescent le percuta de plein fouet. Le couvercle dans les mains, il fixait ces objets en se rappelant soudainement qu'il fut une époque où ce petit trésor avait été rangé sous son lit, à l'abri des yeux indiscrets. Il ferma ses paupières, tenta de juguler la vague écrasante d'émotions qui fracassait les parois de son corps et appuya ses coudes contre le bar en laissant tomber le couvercle.

     Il caressa distraitement ses lèvres, les yeux dans la vague, incertain de ce qu'il voulait faire. Le passé demeurait le passé. Il se sentait incapable de l'affronter. Pas maintenant. Et pourtant, une curiosité malsaine le poussait à ne serait-ce que jeter un coup d'œil, à se remémorer les plus beaux instants de sa vie comme les pires. Il contempla la boîte ouverte, et se laissa finalement tenté.

     Du bout des doigts, il attrapa un porte-clé ridicule sur lequel pendait sa clé de cadenas du casier du lycée ainsi qu'une représentation miniature d'un soda gazeux, cadeau inexplicable de Lorenzo. Le fer dans la main, il pouvait presque entendre le claquement des casiers accompagné du brouhaha habituel des couloirs, de la sonnerie de fin des cours, des cris et des rires qui entouraient le Cassien adolescent, insouciant, rebelle et provocateur. Il se souvenait ne s'en être servi que pour entreposer ses manuels qui pesaient toujours des tonnes dans son sac et ses affaires de sport. À l'époque, sa sœur avait gribouillé un affreux cœur rose au postca surmonté d'un commentaire absurde "Pour le plus relou des frères". Il avait dû s'y reprendre à plusieurs fois pour effacer cette trace, à la fin de sa terminale.

     Une photo de la bande de l'époque lui arracha un faible sourire. Ils avaient snobé les déguisements le jour du carnaval, profitant de l'effervescence dans les couloirs pour sécher les cours et passer l'après-midi au parc. Dessus, il y voyait toutes les personnes qui les avaient suivis dans leur vœu incessant de briser les règles. Les sourires et les grimaces avaient été immortalisés. Une après-midi agréable, sous le soleil, passée à rire et à grignoter, à glisser le long d'un toboggan et à se courir après comme s'ils revenaient à l'école élémentaire.

     Entre son index et son pouce, il fit rouler une boucle d'oreille circulaire, noire au reflet violet si un soupçon de lumière venait la caresser. Il la fixa pendant plusieurs minutes, appréciant le toucher, refusant de plonger dans ses souvenirs, souvenirs qui se maintenaient à la lisière de son esprit, rappel silencieux de qu'ils avaient été. Il redéposa le bijou, le trou de son oreille désormais refermé depuis plusieurs années.