Chapitre 1

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Ses cris de joie me tirèrent de ma rêverie. Ce rêve entêtant prenait de plus en plus de place au creux de mes nuits. Et de plus en plus de place dans mes songes diurnes. Elle était belle. Douce. Calme. Gracieuse. Cette femme élégante qui tirait mon portrait occupait chacun de mes sommes, aussi court soient-ils. Je n'apercevais que sa chevelure dorée, ondulant jusqu'au dessus de ses hanches. Son visage restait flou, mais son rire cristallin, lui, s'échouait nettement contre mes tympans.

Mes pensées éclatèrent doucement en une pluie brillantes reflétant un puzzle que je n'arrivais pas à résoudre, percées par celle qui partageait ma vie depuis un an. Celle à qui je cachais qu'elle n'était pas - qu'elle n'avait jamais été - l'obsession de toutes mes nuits.

Mes pupilles quittèrent lentement le jardin qui s'étendait à perte de vue sous la vitre de ma chambre. L'hiver balayait les feuilles des arbres laissées à l'abandon par l'automne. La fine couche de neige, tombée dans la nuit, cristallisait autour des roses blanches qui fleurissaient le long de ma demeure, grimpant contre les épais murs de pierre. Elle aurait adoré voir ce spectacle, j'en étais certain, du plus profond de mon coeur. Ce sol, brillant comme un million de diamant, ces arbres nus, vêtus d'un simple manteau immaculé, ce lierre vert, mordant la bâtisse, resplendissant dans ce tableau gris et blanc.

Elle, cette inconnue aux cheveux dorés, que j'aurais voulu pouvoir nommer.

— Tu vas me demander en mariage ? S'exclama Aliénor, une petite boîte marron dans les mains.

Ses yeux pétillèrent comme ceux d'une enfant devant une énorme boule de glace dégoulinante. Les miens firent des allers-retours entre sa tête fendu d'un sourire jusqu'aux oreilles, et cette mystérieuse boîte que je n'avais jamais vu auparavant.

— C'est les bagues de tes grands parents, ou quelque chose comme ça ?

Je penchais légèrement la tête sur le côté, et inspectais ses traits comme si son minois me donnerait des indices. Son carré droit tombait parfaitement sur ses épaules, encadrant son visage à la peau olivâtre d'une cascade noire intense. L'éclat d'excitation qui avait pris d'assaut ses yeux réhaussait le vert profond de ses iris, alors que ses pommettes poudrées de blush bombaient contre eux tant elle souriait. Son aura joyeuse me fit sourire en retour, un sourire plus fade que le sien. Moins réel. Moins franc.

Je n'avais aucune foutue idée de ce dont elle me parlait. Je n'avais jamais vu cette boîte de ma vie, et encore moins les deux anneaux argentés qu'elle contenait. J'approchais, passant devant le lit encore défait de notre nuit. Le parquet ancien craqua à l'endroit habituel, un son familier qui avait toujours sû m'apporter du réconfort. Et je ne savais pas vraiment pourquoi.

Mon existence était une boule à neige de questions que quelqu'un secouait en permanence. Plus je tentais de comprendre qui j'étais, moins je parvenais à trouver de réponse. J'étais une âme en peine, constamment déchirée entre mes rêves et la réalité. J'aimais cette demeure datant du 20 ème siècle, l'odeur de bois qui brûlait dans la cheminée, le grincement des escaliers, les poutres imposantes au plafond, l'immense jardin que j'affectionnais particulièrement, ses fleurs au printemps. J'aimais ces choses, ces preuves d'un passé dont je n'avais jamais fait parti. Ces choses qu'elle aurait adoré aussi.

Cette fille.

Cette obsession entêtante qui m'empêchait d'être à ma place ici, au sein de cette époque folle gouvernée par la technologie.

Étais-je fou ? Souffrais-je d'un syndrome de dépersonnalisation ? Cette impression constante de ne pas être à la bonne époque, de ne pas être avec la... bonne personne.

— Où as-tu trouvé ça ? Lui demandais-je gentiment en récupérant la boîte.
— Oh, je sais, je n'aurais pas dû l'ouvrir, avoua-t-elle, honteuse, si bien que ses joues rougirent plus que le maquillage, je n'ai pas pu m'en empêcher ! Elle était enfouie près d'un noeud en ruban blanc.
— Un noeud en ruban blanc ? Répétais-je, sans comprendre.

LA PRINCESSE PERDUE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant