Rose

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J'ouvre lentement les yeux, ne réalisant pas tout de suite ce qui s'était passé hier. J'entends les oiseaux chanter à vive allure, je sens l'odeur de la neige fondant au soleil, mais aussi une autre odeur. Une odeur de cendre, de rose et de biscuit... De la main droite, je me frotte légèrement les deux yeux pour mieux voir et me rends compte que quelque chose me tient la taille par derrière. Un moment de réflexion et ah oui, Anthonin. Je ne sais pas à quelle heure il est, sûrement tôt, ni la température qu'il fait, mais je sens quand même que le temps a dû se rafraîchir. Je ne supporte pas et n'ai jamais supporté le froid. Je déteste l'hiver. Les habits longs et moches, les odeurs qui s'effacent, le nez coulant quotidiennement. Aucune place à la romance dans tout ça !

Je retire délicatement ses mains rappeuses de ma taille, me lève en titubant. Arrête de toujours te lever trop vite, tu vas finir par tomber dans les pommes, pauvre endouille. Je regarde Anthonin et l'embrasse sur le front en espérant qu'il dormait vraiment et n'était pas réveillé. Je m'avance ensuite lentement vers l'entrée dans la grotte sans y sortir pour ne pas m'attirer les vues des brigands et les foudres d'Anthonin. Et là, je vois... j'admire.
Il est vrai que n'ayant jamais aimé l'hiver et ayant eu une enfance de gamine capricieuse, je ne sortais vraiment pas souvent dehors, en tout cas si loin du château. Le père me disait toujours : « Va jouer avec le fils du garde, ça te ferait du bien. » Et ma seule réponse n'a toujours été que la crise de colère. À bien y penser, je pense que ça a dû blesser profondément Anthonin. Je ne dis pas qu'il était amoureux de moi ou de quoi que ce soit, je ne suis pas le centre du monde, mais c'est vrai que je devais lui donner l'impression de préférer mourir que de jouer avec lui. Mais pourtant, s'il savait à quel point je l'adorais, mais la neige, je ne pouvais vraiment pas. J'aurais sûrement dû lui dire, même maintenant, qu'il comprendrait un peu mieux mon stress. Ça part de la volonté de faire une surprise à mon père, et je me retrouve avec toute ma garde rapprochée morte, sauf mon amant de jeunesse, perdu en pleine forêt enneigée. Ça craint...



– Bien dormi, Rose ? Tu n'as pas trop froid ? Dit-il derrière mon oreille doucement.

– Je vais bien, Anthonin, j'aimerais juste rentrer à la maison, mais là, je commence vraiment à perdre espoir, je lâche d'un ton pessimiste.

– Tu vois en face, le grand lac. Comme tu le constates, il est gelé à première vue, et vu l'épaisseur, je dirai qu'il tiendra pour marcher dessus, alors il faudrait y aller lentement, mais au moins on pourrait passer de l'autre rive, tu sais celle qui mène sur le chemin d'Hèlben, là on sera très proche du château. C'est notre meilleure solution, sinon on est obligé de repasser par le convoi, et ça, c'est la mort assurée, me dit-il froidement.

Je réfléchis quelques instants, mais ma pensée s'arrête au nom du chemin. Le chemin d'Hèlben... C'est là où nous jouions souvent jadis, et où on se faisait officieusement comprendre qu'on s'aimait. Ce nom m'a fait une sensation étrange, un flash back direct. Je me déconcentre et essaie d'être pragmatique. D'un côté, nous pourrions récupérer de quoi nous chauffer et de quoi mieux nous armer. Je pourrais même avoir une épée, ça mettra en épreuve ce qu'il m'avait appris sur mon temps libre. Mais c'est aussi un très gros risque qu'on ne peut pas se permettre et, de toute façon, le stratège et le militaire dans l'histoire, ce n'est pas moi. Il a clairement envie de prendre la première option et je ne pense même pas que sa question était faite pour que j'y réponde. Je souris et hoche la tête en regardant le lac.

– Je récupère juste ma carte pour vérifier dans quel sens on doit remonter le lac et on va pouvoir y aller, dit-il avant de récupérer la carte qui était par terre et de renfiler son plastron.

Il regarda un certain temps la carte tout en levant toutes les deux secondes les yeux comme s'il cherchait un point de repère. La carte n'était vraiment pas des plus précises, apparente à une carte d'enfant, ce qui me fit esquisser un léger sourire. Je ne comprends pas ce qu'il cherche en levant les yeux. Il regarde un dessin gribouillé par un enfant, mais fait comme si tout était clair comme de l'eau de roche.

– Bon, direction droit devant et on devrait tomber après 10 lieux sur le premier poste de garde, tiens, garde ma carte s'il te plait, Rose.

– Bon, direction droit devant et on devrait tomber après 10 lieux sur le premier poste de garde, tiens, garde ma carte s'il te plait, Rose

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Je prends alors la carte et la regarde plus en détail avant de la ranger. J'avais bien raison, un vrai dessin enfantin. Comment peut-il savoir où sommes-nous précisément et à combien de lieu du poste de garde. Enfin bon, je lui fais confiance.

Il commence en premier à s'avancer sur la glace pour vérifier qu'elle tienne le coup. Une fois assuré, il me fait signe de la main pour que je le rejoins. Je regarde autour de moi une dernière fois en espérant que les hommes de mon père viennent à notre secours avant qu'on ne doive réellement traverser ce lac dangereux. Mais c'est bon, je me lance, pas à pas, la glace grinçant sous mes pieds, le stress montant, et étrangement la température de mon corps aussi, qui pour le coup n'est pas pour me déplaire.
Nous sommes maintenant à la moitié du chemin. Je m'arrête un instant et manque de peu de glisser en avant, mais Anthonin me rattrape doucement. Nos regards se croisent, je remarque son regard d'un beau bleu-gris et ses fossettes carrées me faisant perdre mes moyens. Je me relève tout en rougissant et lui fais signe d'un hochement de tête formel que je vais bien. Alors que nous approchons de la fin du périple, nous entendîmes des chevaux et des cris venant de derrière nous. Ces gens criaient, mais dans une langue qui m'était inconnue. Anthonin me cria dessus d'accélérer, ce que je m'empressai de faire en essayant de ne pas m'effondrer comme une grenouille au sol. Des flèches commençaient à Ricocher et à s'enfoncer dans la glace. C'est alors que j'approchais du rebord neigeux que je tombai sur la glace. Bravo Rose, tu vas tous nous tuer, me dis-je. Anthonin se précipita pour me relever et me poussa sur la rive quand soudain il cria de douleur. Que s'est-il passé ! Il s'effondra au sol tout en me criant de courir. J'aperçus alors la flèche... Il s'était pris une flèche dans le bas du dos, mais voulait quand même me protéger. J'essayai de lui porter secours, mais il me repoussa et me cria violemment de courir tout droit en direction du poste de garde. Je ne pouvais pas le laisser ici, pas après tout ce que j'ai vécu. D'autres flèches continuaient à heurter la glace quand soudain elle se rompit sous le corps d'Anthonin, le faisant tomber dans l'eau glaciale. Je ne pouvais rien faire et c'était horrible. Je le regardai une dernière fois et me retournai pour courir dans la direction qu'il m'avait indiquée, les larmes coulant sur mes joues. Pourquoi lui ! Je ne m'arrêtais pas de courir, mais je n'arrivai pas à me le sortir de la tête. Je ne voulais pas qu'il meurt. Ce n'était pas qu'un garde, pas qu'un chevalier, pas qu'un ami. Oui. Je comprends maintenant pourquoi la colère est si profonde en moi actuellement. Je l'aimai. Depuis tout ce temps, c'est lui qui était dans ma tête et mon cœur. J'arrive enfin en bas de la tour de garde et vois plusieurs gardes courir vers moi pour me récupérer. C'est bon. Je suis en sécurité, grâce à lui. Mais je ne peux pas me sentir bien, je n'arrive pas à imaginer que je le rêverai plus. Il est mort, et ça par ma faute, parce que je suis idiote et que je suis tombée. Je n'arrive plus à tenir et m'effondre au sol, en repassant en boucle mon enfance à ses côtés, les bons moments, le baiser, la dernière nuit que j'aurai passée avec lui, sa mâchoire, son regard, son parfum avant de perdre connaissance.

PandragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant