Prologue

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Jour six, mois douze, année neuf-cent-vingt

Quelques jours après « la Grande Eclipse »

Renaud avait écrit cette symphonie pour quelqu'un, il en était persuadé. Cette mélodie à la fois vive, joyeuse, tendre et triste, avait été faite pour une personne en particulier. Mais qui ? Qui était-ce ? Il avait beau la lire, la jouer au violon ou au piano... Nul souvenir lui revenait. Puis, il y avait ses propres dessins, ces nombreuses feuilles couvertes d'aquarelles ou de croquis et qui lui semblaient incomplètes. Pourtant, il était lui-même représenté, ainsi que Louison et Ancelin. Keith également pour des plus récents, même si « récent » était un grand mot. Ainsi que leurs familles et d'autres de leurs proches. Bien qu'il ne soit pas médium ou versé dans l'art de la nécromancie, il avait comme la sensation d'un fantôme. Pas forcément au sens des entités contactées ou réveillées par ces professions mais plus... Comment dire... Comme la sensation d'un membre fantôme. Quelque chose qui aurait dû être là mais ne l'était plus.

- Tout va bien Ren ? demanda doucement son petit-ami, également dessinateur à ses heures.

- Keith... Sais-tu pour qui j'ai composé cette mélodie sans nom ?

Si quelqu'un pouvait le savoir, c'était sans doute son conjoint. Ils vivaient ensemble depuis quelques années déjà et il connaissait bien son entourage ainsi que le fonctionnement artistique de Renaud. Le jeune homme s'approcha et prit la partition, s'avouant vaincu après un moment semblant à la fois court et long. Plus il regardait ces feuilles, moins elles faisaient échos à quoique ce soit dans sa tête. Comme si les fixer ne faisait que les rendre de moins en moins tangibles au lieu de les imprimer dans sa mémoire. Ce qui était une sensation pour le moins perturbante.

- Tu sembles avoir raturé le nom. Peut-être qu'on pourrait le ravoir... ? J'avoue qu'elle ne me dit rien du tout cette composition...

Peut-être qu'un praticien de la magie picturale pourrait faire réapparaitre ce titre devenu illisible par les moyens traditionnels. Le compositeur porta une main à son cœur, ressentant une profonde tristesse sans pour autant être capable de l'expliquer rationnellement. Et de le voir dans cet état peinait également Keith qui vint l'enlacer pour lui prodiguer un peu de réconfort. Tout en le serrant contre lui fermement, le musicien ne pouvait s'empêcher de porter le deuil du vide dans son cœur. Car sachant, d'une certitude qu'il ne saurait expliquer, qu'il avait bel et bien perdu un individu précieux. Le destinataire de cette musique anonyme.


- Franchement, j'en ai ras le fion d'être un Argenti, déclara quelqu'un d'un ton ronchon.

Ancelin ne répondit pas de suite, continuant de bricoler l'objet sur lequel il travaillait depuis des heures. Des jours peut-être... ? Il ne se souvenait plus vraiment de quand il l'avait récupéré. La réflexion précédente venait de son ami d'enfance, engagé depuis plusieurs années dans l'ordre de chevaliers qui était au service des plus hautes sphères du gouvernement. Même si « chevalier » était davantage un titre historique qu'autre chose, militaire suffirait à les désigner, police, éventuellement.

- Quel job à la con, poursuivit-il, j'aurais dû continuer mes études et devenir magitech avec toi comme c'était prévu.

D'un geste expert, et dénotant d'une certaine habitude, il avait démonté, nettoyé et remonté intégralement son arme de service. Un pistolet à mana, tel était le nom qu'on leur avait donné. Seules les personnes douées de magie pouvaient s'en servir, concentrant celle-ci dans le barillet pour en faire des balles. Selon la spécialité de celui la maniant, la magie pouvait donner des atouts comme par exemple, des balles de feu ou de foudre. Un non-mage le pourrait aussi, s'il arrivait à concentrer suffisamment de mana, d'énergie vitale, pour remplir son barillet. Cela demandait de l'entraînement cela dit et un certain talent.

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