Acte 8

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Jour quinze, mois douze, année neuf-cent-dix-neuf

Et si une autre voie était possible... ? Ô cruelle destinée...

Tristano était mort depuis plus d'un an déjà. Denis portait le deuil de son conjoint de longue date, ayant coupé court ses cheveux en signe de perte. Pourtant, « la Meute » n'avait pas renoncé à ses plans. Il écoutait Laurie et Pascau discuter de leur prochaine action, ils étaient tout aussi prêts à mourir pour la cause que leur frère aîné. Une détermination qui n'allégeait pas sa peine.

- Nous n'avons pas réussi à remettre la main sur de l'ambre pure pour absorber son pouvoir et le tuer.

- On savait que notre tir raté allait nous porter préjudice. D'autant qu'ils l'ont envoyé au loin pendant plusieurs mois, il n'est revenu que depuis quelques jours, compléta calmement Pascau.

Les bras croisés et attendant dans l'ombre, Denis ne disait rien. Il avait assisté à la mise à mort de son amant et... Malgré sa peine, sa rancœur, il était à même d'avouer qu'il avait senti que le bourreau n'était pas sans sentiments. Que le mange-temps n'était pas épanoui dans cette cour de l'Opéra. Cette farce de justice, cette pièce de théâtre macabre.

- Nous devrions détruire le sablier de l'Opéra, fit-il soudain.

Les deux frères cessèrent leur discussion pour le regarder et après un silence, Laurie reprit.

- Ça ne ferait que repousser le problème. Si on le détruit, ils en construiront un autre.

- Détruire le sablier et faire fondre l'ambre, la rendre inutilisable. Je sais que ça ne fera qu'acheter du temps mais justement, c'est ce dont nous avons besoin.

- Denis, je sais que depuis le début tu es contre le fait d'éliminer le Prince mais-

- Tristano est mort. Il est mort parce qu'il a essayé de tuer un enfant alors qu'il a toujours passé sa vie à les protéger putain ! Il était professeur à l'école je vous rappelle !

- Je sais... Il est... Il était mon grand frère, je le sais. Et crois-tu que j'aime ça ? Que j'ai envie de buter un gosse de vingt piges parce qu'il est la marionnette d'un système pourri ?!

- Tuons le Premier Consul alors, libérons le pays et le petit de son emprise.

- Il y a tous les autres ! En tuer un ne tuera pas le reste des conseillers.

Serrant les poings, le brun s'était levé de son bureau aussi vite qu'un diable sortant de sa boîte. Il était le chef des révolutionnaires, même quand Tristano était en vie, il avait toujours été le chef. Il avait du sang sur les mains, ceux des hommes et des femmes blessés ou morts au combat. Celui de leur frère, l'aîné d'une famille de dix enfants... La plus jeune avait d'ailleurs l'âge du petit Prince à abattre. Laurie avait adopté une petite fille, dont les parents avaient été victimes de ce terrible sortilège avaleur de temps, ils n'étaient pas morts mais on ne pouvait pas dire qu'ils étaient en vie non plus. Et pour ce qui était du Consulat, ils attaquaient aussi les structures gouvernementales, récemment, ils avaient réussi à détourner un train de marchandises et d'armement à leur compte. S'il y avait moyen de résoudre les problèmes du pays sans sacrifier un cheveu de l'enfant aux plumes d'or, il l'aurait fait. Sincèrement, il aurait essayé. Et puis... L'un de leurs membres avait disparu après son arrestation, pas de procès, rien, comme s'il s'était... évaporé. Ce qu'ils mettaient sur le compte de la liste des disparus mystérieux dans les geôles de l'Opéra.

- Assassiner ce garçon ne nous rendra pas populaire, intervint le second frère. La mort du Prince de Lumière va plonger le pays dans la tristesse, il est adoré des gens.

- Parce qu'ils ignorent qu'il est aussi leur pire cauchemar.

- Ça ne change rien qu'il est aimé, Laurie. Nous ne faisons pas ça pour être admirés bien sûr mais réfléchis, le mouvement de foule sera incontrôlable et le gouvernement pourra facilement nous faire passer pour les méchants. L'opinion publique marche au pathos plus qu'à la logique.

- Et alors ? C'est un fait depuis le début.

- Il va se marier. La date a été annoncée, ils vont se marier l'été prochain lui et ce jeune homme issu de migrants du Sud.

- Et donc ? Tu veux en venir où, qu'on leur envoie un cadeau de mariage et une carte aussi ? s'emporta Laurie.

- Nous pourrions les tuer tous les deux en faisant croire qu'il s'agit d'un geste du Consulat. C'est facile de savoir que le Premier Consul déteste cette union, si on arrive à voler des uniformes d'Argenti et les abattre... Nos deux problèmes seront réglés, le Prince est mort et le public nous suivra dans notre lutte contre le gouvernement.

Denis était plutôt atterré. C'était... de pire en pire. Il préféra quitter la salle, claquant la porte derrière lui sans que les deux frangins ne fassent un geste ou disent un mot pour le retenir. Assassinés le jour de leur mariage... Une poésie digne d'une tragédie.


Ses pas l'avaient mené jusqu'à la tombe de son amant, sobre, une simple plaque de pierre avec son nom et ses dates de vie et de mort. Il s'y assit, recroquevillé sur lui-même. Denis avait toujours vécu sur ces terres, il était né et avait grandit dans le pays de la déesse céleste, il avait appris les mythes et il avait toujours connu le système du Consulat. Et avant l'obsession du Premier Consul pour le jeune chronomage, la nation n'avait rien de si terrible. Pas de guerre avec les voisins, une économie plutôt stable, ce n'était pas un mauvais endroit.

- Je ne sais pas quoi faire Tristano... Je n'ai pas envie de les aider... Mais je t'ai promis de ne pas les abandonner... Sans cette histoire de temps, tu ne serais pas mort. Pas comme ça. Pas maintenant...

Il ne maudissait pas le Prince, ni même Laurie ou ceux qui avaient accompagnés son amour pendant sa mission et avaient échoué à le protéger. Non, il haïssait le Premier Consul. Lui et ses prophéties. Peut-être... Peut-être qu'il devrait faire cavalier seul. Se fixer sa propre mission, tuer ce vieux fou et son propre objectif, détruire le sablier. Après tout, avant, il était un voleur hors pair et un bon combattant. S'infiltrer pour se débarrasser de ces épines dans leur pied était sans doute à sa portée. Et si ça ne l'était pas, au moins aurait-il essayé de suivre sa propre voie et ce qui lui semblait le plus juste. Se penchant vers le sol, il déposa un tendre baiser sur la pierre, froide et rugueuse sous ses lèvres.

- Protège-moi mon amour... Et sinon... Bientôt nous nous enlacerons dans l'Ether...


Amber of TimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant