Acte 9

2 1 0
                                    

Jour quatorze, mois deux, année neuf-cent-vingt

Quand le pilon rencontre le mortier, le temps devient poussière...

Assit à nouveau dans cette salle étrange, bien que très belle, qui servait visiblement de lieu de réception aux sorcières de l'Hexenzirkel, Célian s'interrogeait. Devant lui était assise une petite fille, avec ses cheveux blond pâle savamment tressés et son regard noir bien plus profond qu'il ne devrait l'être à son âge. Nollaig se tenait debout derrière elle, comme un garde du corps. Pourtant, c'était plutôt le rôle de l'autre, le gardien, de faire ce genre de tâches non ?

- Je te remercie d'être venu, chronomage.

Il sursauta presque, ne s'était pas attendu à ce qu'elle rompe l'étrange silence qui s'était installé entre eux trois. Puisque les événements s'étaient calmés, il était de nouveau assez libre de ses allés et venues, ce qui fit qu'il avait répondu par la positive à l'invitation du goûteron des sorcières. Sur la table s'étalait en effet tout un tas de pâtisseries et la théière était dodue d'un liquide parfumé. Un service à thé qui se mouvait tout seul comme la première fois qu'il était venu. Célian n'avait pas faim cependant.

- Eh bien... Oui. Mais autant je connais la Sorcière Blanche, autant je ne sais pas qui tu, qui vous êtes... ?

- Tu peux me tutoyer. Et tu me connais, tu étudies mes recherches depuis des mois maintenant, tu es le dernier de notre branche... L'étincelle d'espoir pour ma rédemption.

Ses yeux s'arrondirent comme des billes sous la compréhension de ce que racontait cette gamine.

- Istaroth ?!

Elle acquiesça et bu un peu de thé avant de reposer sa tasse, des manières élégantes et un peu datées bien que cela n'avait aucune importance. Pourquoi le cerveau se sentait-il obligé de noter des détails futiles à un moment aussi crucial ? Pour le rendre plus réel sans doute, plus tangible. Ne pas perdre pieds dans cette perpétuelle mouvance qui menaçait de le faire chuter à tout instant.

- Tu veux annuler ce que j'ai fait. Rendre à néant mes travaux sur l'ambre et la magie du temps qui passe. Ne fais pas cette tête, je ne t'en veux pas... En fait, je suis d'accord avec toi. Le flux temporel ne devrait pas être touché par les mains des hommes. Même la déesse en a payé le prix quand elle l'a fait, n'est-ce pas ? Sais-tu le prix qu'elle a donné pour ce miracle ?

- Elle a pleuré des larmes d'or, abandonné les souvenirs de leur amour, tous leurs souvenirs ensemble en vérité et elle a effacé son propre nom. C'est le prix qu'elle a payé pour le retour à la vie d'Aether.

- Des larmes d'or, vraiment ? fit-elle d'un ton faussement surpris.

Célian fit une pause d'un instant puis reprit la parole, plus doucement alors que la lumière se faisait dans son esprit, à mesure que les choses s'emboîtaient entre elles.

- De l'ichor. Le sang des dieux... Elle a pleuré du sang... Elle est morte, n'est-ce pas ? Notre déesse est morte par amour.

- Dieu est déjà mort en effet. Ça ne veut pas dire qu'elle n'existe pas pour autant, elle est présente autrement.

Le jeune homme se sentit profondément mal à l'aise. Était-ce son avenir ? Un signal d'alerte sur ce qui allait advenir de lui ? Il était prêt à se sacrifier pour Javier mais certainement pas pour le monde. Peut-être qu'il était égoïste mais s'il voulait améliorer l'existence actuelle des gens en corrigeant une chose qui n'aurait pas dû exister, il ne tenait pas à mourir. Célian était d'accord pour abandonner beaucoup mais pas sa vie. Il voulait se marier avec Javier, l'embrasser et se lover dans ses bras, sentir son amour pour lui. Vieillir en tenant sa main et s'éteindre à ses côtés, souriant de voir leurs cheveux blanchis et leurs visages marqués des rides de leurs joies passées.

Amber of TimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant