Amber of Time

Acte 13

Jour quatre, mois huit, année neuf-cent-vingt

Au cœur de la forêt à peine éclairée des lueurs de l'aube, deux Argentis s'arrêtèrent à l'orée d'une clairière et après une pichenette de magie, ils apparurent au milieu de l'entrée de l'Hexenzirkel. Guy les accueillit, l'air soucieux. Et pas du tout étonné de les voir débarquer au sein de leur refuge.

- Vous allez bien ? Dawn est prêt à l'infirmerie sinon, il a sorti des baumes, des potions et est sans doute prêt à lancer tous les sorts de soin nécessaires.

- Pas besoin de Dawn, répondit le premier alors que son visage semblait se troubler, se flouter et sa voix changer.

Sans que l'herboriste n'en soit surpris, les individus se métamorphosèrent en leurs deux gardiens principaux. Envoyer leurs deux protecteurs n'avait pas été une décision rassurante ni facile à prendre mais vu le déroulé des événements, l'aide ne fut pas de trop. Sous les traits d'illustres inconnus, Morgan et Ruairi avaient ainsi pu sauver la vie de Célian et Javier. Avant de partir, ils avaient fait en sorte que les souvenirs des deux Argentis remplacés concordent avec ce que leurs collègues allaient leur dire. Le jeune Prince ignorait leur présence, sachant seulement par le message reçu via la corneille de Morgan que des sorcières assisteraient à ses noces. Une fois redevenu lui-même, la fée Morrigane extirpa de ses vêtements une fiole au liquide sombre et miroitant qu'il but d'une traite.

- Tu es sûr de ne pas vouloir aller consulter Dawn ? demanda à nouveau Guy d'une voix douce, concernée.

- La douleur est supportable. Où est Nollaig ?

- Dans la Baie des étoiles, avec Sky et la petite Divona. Peut-être que les filles sont là aussi, je ne sais pas.

- Et les enfants ?

- Lilian et Dieter s'occupent d'eux. Cassandre est dans l'une des bibliothèques je crois.

Il acquiesça et s'éloigna alors, laissant le plus vieux en compagnie de Ruairi qui lui fit un résumé concis et précis de la veille. Avant de se séparer pour aller chacun de leur côté, l'hémétomancien reprit la parole.

- Il saigne. Il souffre. Mais... Il ne veut pas qu'on l'aide.

Guy soupira lourdement, rien d'étonnant mais parfois, la carapace de Morgan était un réel problème. Peu de gens, très peu, pouvaient se faufiler dans ses failles pour lui faire entendre raison. Ils se comptaient sur les doigts d'une main : Salvatore, Dawn, Nollaig. Et encore, concernant leur chef, ça dépendait de l'humeur de son co-dirigeant. Le premier étant l'amant, l'âme sœur de leur Morrigane. Il y avait une sorte de vieux dicton sur les loges de sorcières concernant l'organisation de celles-ci :

Le sang, les sœurs de la Loge.

Les nerfs, celle qui rassemble la Loge.

Les os, celle qui protège la Loge.

Nollaig était les nerfs, Morgan était les os et eux tous formaient le sang. Et il était bien sûr plus facile de se sentir proche des nerfs, un endroit chaud et vif plutôt que des os, durs et froids. Toute cette symbolique de chair faisait sens aux yeux de Guy car pour qu'une loge fonctionne et se protège efficacement, les membres devaient se considérer comme faisant partie d'un tout. Un seul corps, un seul cœur, une seule âme.

- Pour ce qui est de Morgan... Je vais voir avec nos alchimistes et potionnistes pour refaire son stock.

- Il sait concocter son breuvage seul, fit remarquer doucement Ruairi.

- Je sais. Mais il n'est pas seul alors laissons Azenor le faire pour lui, elle est à l'aise dans le domaine et ne demande qu'à aider.

Le second gardien hocha la tête puis s'en alla ensuite dans les profondeurs de l'Hexenzirkel afin d'aller embrasser Callum. Il avait envie de le voir et puis, il savait que sa propre âme sœur devait s'inquiéter de son retour avec les rumeurs du désastre. Autant le rassurer. Machinalement, Ruairi passa les doigts sur le côté de son visage abîmé, sentant sous ses phalanges le relief des blessures d'antan. Que devenait celle qui les avait causées... ? Chassant cette pensée, ses pas se dirigèrent vers sa propre divinité lumineuse, le seul ange à ses yeux, son Birdie adoré. Le phare de son existence, celui pour lequel il n'était pas devenu fou à lier.