Chapitre 30

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Laaov s'essuya le front. Voilà près d'une heure qu'il était assis là, dans la fraîcheur ombragée du souterrain des guerriers, sans que sa fièvre ne daigne baisser. Une sueur glacée dans le cou, il recouvrait péniblement ses forces. S'il avait survécu, il avait la sensation de n'être plus qu'une carcasse labourée de part en part, à peine capable de tenir sur ses jambes.

Dehors, les jeux s'enchaînaient à une vitesse folle. Les combattants s'avançaient dans l'arène et mourraient, les gradins se mettaient en branle et, aussitôt les corps évacués, d'autres gladiateurs faisaient leur entrée ... pour mourir à leur tour. La gorge nouée, Laaov porta le regard vers Magan, toujours assis au même endroit, silencieux. Était-il abattu ... ou furieusement concentré ?

Debout derrière la grille encore close, Kragen scrutait quant à lui l'arène -avec une excitation presque palpable. C'était enfin son tour. A l'ombre des voûtes de pierre, il défiait du regard l'immobile silhouette de l'immortel, déjà plantée en plein cœur de l'aire de combat ... et, comme un fauve brûlant de déchirer sa proie, tremblait imperceptiblement. Les Zabas ne connaissaient-ils pas la peur ? Kragen avait quelque chose de glaçant.

–Tu penses pouvoir le battre ? demanda le jeune homme.

Flanqué de deux grands sabres noirs, le guerrier d'Ashura fixait son adversaire en retour, un tic nerveux dans les jambes et le regard assassin. Ses yeux, brillant comme deux charbons ardents sous son masque grimaçant, étaient absolument terrifiants.

–Kragen ? insista Laaov.

La queue de l'homme-lézard frappa furieusement le sol ... et le garçon se tut. C'est alors que la grille grinça tout à coup et, lentement, se souleva sur l'aire de combat. Sans quitter l'homme-lézard des yeux, l'immortel s'agita alors de droite à gauche, de gauche à droite, revint sans cesse sur ses pas et, dans le silence étouffé d'un roulement de tambours, lui jura sans un mot de le massacrer.

–Oublie pas, lança Talaros, dont la silhouette se découpait imperceptiblement en contre-bas, dans les ténèbres du souterrain. Il ne se bat que pour le salut de son âme ... et pour faire une libation de sang à sa saloperie de déesse. Il n'a peur de rien, alors sois prêt à tout, Kragen. Sois aussi fou que lui.

Le Zabas vibrait comme une corde tendue, prête à rompre sous trop de poids. Sans quitter des yeux son féroce ennmi, il s'avança dans l'immense puits de lumière. La grille retomba lourdement derrière lui, les percussions gagnèrent en fureur et les cris, d'un bout à l'autre des gradins, parurent s'élever jusqu'aux cieux.

–Allez ! rugit Talaros. Tue le !

Là-bas dans l'ondoiement du jour, l'immortel cessa ses furieux va-et-vient pour se planter au milieu de l'arène. L'heure du combat était enfin arrivée. Séparés par un panache de poussière voletant dans la brise, les deux adversaires se défièrent une dernière fois du regard ... avant que ne sonne le gong.

Laaov essuya son menton -noir de sang sec- tandis que les deux gladiateurs, sans perdre un instant, se ruèrent l'un sur l'autre.

Le guerrier d'Ashoura dégaina ses deux sabres et, d'une main habile, les fit tournoyer autour de lui comme les hélices d'un moteur. Dans le nuage de sable soulevé par leur charge, ils ne furent plus que deux silhouettes imprécises, courant follement l'une vers l'autre.

–Ça commence, murmura Laaov.

Les sabres s'entrechoquèrent dans un soudain jaillissement d'étincelles et le jeune homme, bluffé par la vitesse de leurs assauts, plissa les yeux. Avec sa jambe brisée, ses côtes fracturées et son crâne brûlant, il n'aurait guère tenu plus d'une poignée de secondes, face à de pareils guerriers.

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant