Il fait nuit. Le ciel noir qui plane au-dessus de la ville est parsemé de douces étoiles blanchâtres. Sur les façades des gratte-ciels de nos voisins subsistent quelques fenêtres éclairées. Les voitures aux bas des immeubles ne cessent leurs bruits incessants, roulant bruyamment et klaxonnant à tout va. Les commerces de la rue, qui ne ferment jamais leurs portes, servent encore des gens, alors que même la Lune a disparu du ciel. La danse métropolitaine est infinie : du soir au matin, jamais elle ne s’achève.
J’observe tout cela depuis notre fenêtre. Une grande baie vitrée qui, de jour, nous apporte une lumière et un soleil éternel ; et qui, la nuit, nous offre ce spectacle poétique. Le silence règne dans notre grande demeure. Un bel appartement, à la fois spacieux et moderne, contemporain et minimaliste. La décoration que nous avons faite ensemble donne une ambiance chaleureuse à l’environnement. Des petites lumières tamisées, des fauteuils coquets au style des années 70. Tout est agencé de manière à se croire dans un film. Mais il est l’un des symboles de notre glorieuse réussite. Ce soir, seul le plafonnier au-dessus de notre salon est resté allumé, les autres lumières plongeant notre chez-nous dans l’obscurité. J’ôte mes yeux du tableau urbain qui se déroule face à moi, et alors que mes chaussures de ville pivotent sur le clair plancher de notre séjour, je la regarde, elle. Elle qui, assise sur le canapé, fixe le vide depuis si longtemps. Elle qui ne dit mot depuis plusieurs minutes maintenant. Elle n’est pas endormie, ses beaux yeux sont bien ouverts. Elle est simplement là, son esprit étant peut-être ailleurs.
Je l’admire. Je l’observe dans toute sa splendeur. Même sans bouger un cil, elle parvient à me charmer. Ses boucles blondes, qui tombent parfaitement sur ses épaules ; ses yeux bleus qui ressortent avec son léger maquillage ; sa robe trapèze avec son col bateau et ses teintes de bleu, de jaune et de blanc entremêlées ; son teint quelque peu bronzé… Tout chez elle me fait chavirer. Elle a beau être simplement assise sur notre sofa, dans le silence le plus total, et sans même me regarder, qu’elle parvient à me séduire. Elle n’a rien à faire pour que mon cœur tombe pour elle, et c’est bien pour cela que je l’aime. Je l’aime de toute mon âme, et j’ai si hâte de notre mariage. Depuis peu, nous sommes fiancés, et notre union devrait bientôt se faire.Mais ce soir, dans ce vaste appartement animé par le bruit de la ville, nous ne sommes encore que des promis. Je délace mes chaussures, que je viens porter dans l’entrée. De retour dans le salon, je me place à côté de notre tourne-disque, et je lance la musique d’un de nos vinyls. Une sonate de piano. Une belle et tendre sonate, jouée par mes soins. Je la rejoins, elle qui n’a pas bougé, elle qui est toujours plongée dans ses pensées, assise sur le canapé. Je l’embrasse, lui posant un délicat baiser sur sa joue, avant de la prendre par la main. Elle semble me sourire, et me suit au centre de la pièce.
Mes mains derrière son dos, nos corps collés l’un contre l’autre, nous dansons un slow. Une danse qui me rappelle tant de bons souvenirs : c’était notre première danse ensemble, au bal de fin d’année de notre lycée. Le soir de notre premier baiser… Un moment magique qui est toujours autant gravé dans ma mémoire, comme si c’était hier. J’aime bien refaire cette danse à ses côtés, cela me fait réaliser tout le chemin que nous avons parcouru ensemble… Dix ans de vie commune, d’amour charnel, passionné et à la fois d’une douceur incontestable. J’espère que cette flamme ne cessera jamais de brûler. Je sens sa tête se nicher au creux de mon cou, alors que ces mains derrière ma nuque se resserrent un peu plus. C’est comme si je pouvais entendre son cœur battre à l’unisson avec le mien. Le bruit de mes pieds nus sur le parquet accompagne les notes romantiques du piano. C’est une idylle, c’est un rêve que je vis ! Mais quel plaisir de le vivre dans les bras de ma bien-aimée… Je ne pourrais pas souhaiter une meilleure vie.Elle se dérobe à mon étreinte et s’effondre au sol. Je la regarde avec amour, et la prends dans mes bras. Je la serre, je la serre fort contre moi, et j’embrasse de mille baisers son front froid. Elle ne tient plus debout, ma pauvre chérie… Cela fait une semaine qu’elle ne tient plus debout. Elle ne bouge plus, elle en est incapable désormais. Son souffle si chaud a disparu, son cœur si aimant ne bat plus ; sa flamme s’est éteinte, alors la mienne s’est mise à brûler pour nous deux… Ces petits moments me ramènent à la réalité. Le silence s'abat sur notre chez-nous, devenu mon chez-moi depuis que son rire n’est plus là pour couvrir le moteur des voitures. Une larme coule le long de ma joue, comme à chaque fois. Moi qui la pensait encore à mes côtés, mon triste esprit n’arrête pas de me tromper. Il me la fait entendre, il me la fait voir, et je parle avec elle comme si elle était toujours là. Mais je dois me rendre à l’évidence. Je ne la verrai pas dans cette robe blanche qu’elle voulait acheter pour notre mariage ; je ne la verrai pas briller avec son alliance au doigt ; je ne la verrai pas bercer nos enfants en chantant une berceuse. Jamais. Elle est partie, désormais…
Le sang a séché autour de son cœur que j’ai arraché, et les traces de ses jambes coupées ne se sont jamais dissipées. Je préfère la voir ainsi froide dans mes bras, que chaude dans ceux de l’autre, joliment pendu au lustre de la salle à manger.
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La Danse
Short StoryIl fait nuit. La ville est belle, et toujours mouvementée au soir. Je me tourne ; elle est là, assise en silence sur le canapé. La sonate de piano démarre, alors que nous dansons, collés l'un à l'autre. Elle tombe à mes pieds, ma pauvre chérie... TW...