Chapitre 23

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Un vent inhabituel se leva en fin de matinée et les obligea à écourter leur entraînement au maniement des lames.

Ils ne se trouvaient plus très loin de la percée menant à Urundïn. Kaz espérait l'atteindre avant que la tempête ne se déchaîne, mais le ciel qui s'obscurcissait ne semblait pas du même avis. Des cumulonimbus aussi grands que la chaîne de Caranak se dirigeaient vers eux à une vitesse impressionnante.

— Rejoignons la côte le temps que cela se calme, proposa Eorten entre deux rafales.

— Et prendre du retard, non. Je ne peux pas me le permettre ! Mordiable, ce ne sont pas quelques bourrasques qui vont nous arrêter.

Les yeux du baroudeur se plissèrent sous cette remarque et son visage se crispa. Cette subite levée de vent ne présageait rien de bon, mais il n'était pas capitaine et Kaz ne possédait pas le luxe de pouvoir écouter les signes que lui présentait l'océan. Ses hommes s'empressèrent de ligoter tout ce qui pouvait encore circuler librement sur le navire alors que les rafales les balayaient avec force. Ils avaient presque terminé lorsque l'un d'entre eux fut percuté par une bourrasque. Il vola contre la rambarde et la heurta de plein fouet. Son visage blême regarda par-dessus bord, alors qu'il s'agrippait fermement à cette dernière, remerciant les dévas de l'avoir sauvé d'un sort funeste.

Le tonnerre gronda une première fois, et des gouttelettes commencèrent à s'écouler le long du pardessus du baroudeur. Pas de doute, ils fonçaient droit vers la tempête. Kaz adapta la direction du bateau afin de limiter les mouvements et le fracas des vagues, et bien que les voiles menaçassent de rompre à tout instant, on discernait la confiance aveugle que son équipage lui accordait.

Un nouvel éclair illumina l'océan, suivi de près par un énorme vrombissement bien plus impressionnant que le précédent, et au loin, une ombre... À première vue, il était difficile de savoir s'il s'agissait du simple mouvement des vagues tant il faisait sombre, un peu comme si une nuit sans étoiles surgissait en plein milieu de la journée, mais Saral n'eut pas besoin de se retourner vers le barouder pour confirmer sa pensée.

— Un léviathan ! rugit ce dernier.

Tout l'équipage s'arrêta pour scruter le large dans la noirceur de la tempête et, à peine quelques secondes plus tard, le tonnerre gronda à nouveau dévoilant une créature des mers gigantesque sur la houle opposée... Elle fonçait droit sur eux, alors que l'orage gagnait toujours en intensité et que les fines gouttelettes formaient maintenant une pluie torrentielle qui claquait contre leur visage et les empêchait de discerner quoi que ce soit.

Alors que l'asura s'approchait à une vitesse impressionnante, la foudre toucha l'un des mâts du navire de plein fouet et le trancha en deux. Tout l'équipage s'arrêta pour le regarder tomber dans un vacarme assourdissant et semer le chaos sur le pont. Le large poteau s'écrasa contre une rambarde et la fit voler en éclat. Des débris de bois aussi aiguisés qu'une lame fusèrent dans toutes les directions.

— Tous à vos postes ! ordonna Kaz aux aguets sur le gouvernail. Ne vous laissez pas impressionner par ces artifices !

Déjà les canons grondaient et une pluie de boulets s'abattit sur le monstre sans pour autant le toucher. On arma les harpons et le trio prit place à l'un d'eux. Le temps d'encocher un carreau et de viser, le léviathan se trouvait au pied du navire, prêt à les engloutir... Des yeux d'un rouge foudroyant trônaient sur ses deux énormes têtes, alors que des pointes acérées surgissaient de ses écailles d'émeraude. Il n'y avait pas à dire, les descriptions qu'Eorten leur avait faites des asuras étaient pour le moins représentatives.

— Pas de quartiers, renvoyez-moi cette abomination dans son tombeau, vociféra Kaz. L'horreur qui coulera mon navire n'est pas encore née !

Alors qu'il prononçait ces mots, la créature rampa sur le bateau comme s'il ne s'agissait que d'une simple bordure que l'on gravit. Le vaisseau chavira et une partie de la rambarde se désintégra sous le poids du monstre. Le démon céleste poussa un rugissement à tomber par terre, ce qui dévoila quatre rangées de dents pointues, chacune plus large qu'un bras. Tous les harpons étaient concentrés sur son corps, mais les carreaux semblaient à peine égratigner sa carapace écaillée. Vive et précise, la mâchoire tranchante de la bête se referma sur le premier matelot venu. Le pauvre ne disposa d'aucune échappatoire, et une coulée de sang se déversa dans son sillage alors qu'un trou béant apparaissait maintenant sur le plancher. Il poussa un cri tragique avant que le monstre ne le propulse dans les airs. La seconde tête l'attrapa en vol pour l'engloutir tout cru. Personne sur le navire n'avait échappé à cette scène morbide, et un vent de panique envahit le pont.

Avalar - Tome 1 - Le peuple ancienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant