Prologue

92 9 2
                                    

La nature humaine est une énigme complexe, une mosaïque d'ombres et de lumières où chaque fragment raconte une histoire unique de souffrance et de joie. En chacun de nous se cache un abîme, une profondeur insondable où les secrets les plus sombres cohabitent avec les aspirations les plus nobles. La vie, dans toute sa brutalité et sa beauté, nous pousse sans cesse à naviguer entre ces deux pôles, à chercher un équilibre précaire entre notre désir de faire le mal et notre devoir de faire le bien. C'est dans cette dualité perpétuelle que se joue la véritable tragédie de l'existence, et c'est là que se trouve l'énigme de ma vie : puis-je jouer les deux rôles sans perdre mon âme ?

***

Les bruits de Londres s'estompaient peu à peu dans ma mémoire, comme les échos d'une chanson entendue autrefois. J'avais neuf ans, et pourtant, j'avais l'impression d'avoir déjà vécu une vie entière de changements et de bouleversements. Ma mère, autrefois si pleine de vie, a été submergée par des voix que je ne pouvais pas entendre. La schizophrénie a pris le dessus, transformant notre quotidien en une suite interminable d'incertitude et de peur.

Malgré la maladie, la douceur de ma mère était indéfectible. Dans ses moment de délires, je n'avais pas peur. Mes grands-parents étaient là pour me rappeler que les maladies mentales n'étaient pas honteuses, mais seulement difficiles à vivre. Alors enfant, je voyais ça comme une particularité qui rendait ma maman unique. Et être différent de la masse, j'étais persuadé que c'était une bonne chose.

Lorsque ma mère fut internée pour la première fois, ma tristesse et mes pleurs étaient incontrôlables. Même les grimaces de papi n'y faisaient rien. Lors des visites, je chuchotais à son oreille, lui demandant de s'enfuir d'ici et de venir me rejoindre. Je savais que c'était irrationnel, mais mon instinct d'enfant me poussait à vouloir être avec elle, sans se soucier des conséquences.

Un jour, alors que je jouais dans la cour de récréation, je l'ai aperçu, elle avait un sourire forcé et ses cheveux étaient brossés, comme si elle s'était faite belle pour nos retrouvailles. Le portail n'était pas fermé à clé et elle m'a tiré dans ses bras avant de partir en courant. Je lui disais qu'il fallait récupérer mes affaires et prévenir la maîtresse. Mais je n'ai plus jamais remis les pieds dans cette école et je n'ai jamais pu dire au revoir ni à mes camarades, ni à grand-mère et grand-père.

Elle nous a entraînés à l'aéroport de Londres Heathrow. Je l'ai trouvée beaucoup plus lucide que d'habitude et je m'étais dit que ça devait être l'effet des médicaments contre les hallucinations qu'elle recevait de l'hôpital. Une fois dans l'avion, elle m'a expliqué qu'un patient l'avait aidée à préméditer sa fuite. À ce moment-là, je regardais ma maman comme une héroïne. Elle m'a dit de ne pas m'inquiéter, qu'on téléphonerait à grand-mère et grand-père tous les jours et que notre vie se poursuivrait à Paris.

Fuir Londres semblait être notre seule échappatoire. Paris promettait un nouveau départ, loin des souvenirs douloureux et des jugements silencieux. Mais la ville de la lumière n'a pas été le havre de paix que nous espérions. Pendant plusieurs jours, nous avons dormi dans des hôtels miteux, puis, faute d'argent, nous avons fini à la rue. Mais nous étions au début de l'été et le soir, le froid ne condamnait pas l'air. Je me plaisais presque à ce train de vie et dormir à la belle étoile était excitant.

Mais au fil des semaines, la schizophrénie de maman empirait. Sans suivi psychiatrique, elle ne pouvait plus se procurer son traitement qui maquillait partiellement sa maladie. Elle parlait seule et semblait avoir perdu la raison.

Je n'ai jamais pu appeler mes grands-parents. À chaque fois, elle me faisait croire qu'ils étaient occupés ou qu'elle avait oublié leur numéro. Avec le temps, j'ai compris qu'elle craignait qu'ils viennent me récupérer et qu'on l'enferme à nouveau. En faisant cela, elle ne s'attendait pas à ce que l'histoire se répète, elle pensait qu'ici elle pouvait me garder près d'elle et je le croyais aussi.

Je n'en veux pas à ces personnes qui ont prévenu les autorités. Voir un enfant seul avec une femme qui parle à son propre reflet dans le métro, ça craint. Je me souviens de leurs regards pleins de compassion, de cette dame ayant compris la situation et m'ayant gentiment demandé quel était mon nom, en anglais, voyant que je n'étais pas d'ici. Tous ces gens, je ne leur en veux pas, même s'ils ont participé à ma descente aux enfers.

C'est à la suite de cela que j'ai atterri chez les Connor en banlieue parisienne, après la décision du juge des enfants — maître Devon. Je me souviens qu'il m'avait dit un tas de choses sans les traduire, donc je n'ai jamais compris. Il semblait tellement habitué à ce genre de situation, comme si des enfants comme moi, il en voyait cent par jour.

L'hôpital psychiatrique où maman fut internée n'était qu'à quelques kilomètres de mon nouveau foyer, mais pour moi, elle était à des mondes de distance.

La famille Connor, censée m'offrir une protection et un semblant de normalité, s'est révélée cruelle et indifférente. Mes journées étaient marquées par les corvées incessantes et les reproches injustes, et mes nuits par la peur et la solitude.

J'ai mis des mois à m'habituer au choc et à comprendre véritablement comment et pourquoi je me suis retrouvé chez des inconnus, du jour au lendemain. J'espérais innocemment qu'on découvrirait un remède miracle contre la schizophrénie, que maman franchirait la porte de ma petite chambre et qu'on rentrerait à la maison pour retrouver papi et mamie.

Mais il n'y eut ni remède miraculeux, ni retour à la maison ; seulement l'éveil brutal à une réalité où les espoirs d'un enfant s'étiolent, et où l'innocence se dissipe pour laisser place à une amère compréhension de ce que ma vie était devenue.

Love SyndromeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant