Harry, 2013
Je me souviens des couloirs sombres du collège, des graffitis sur les murs, des rires étouffés et des regards de défiance échangés entre les élèves. La violence faisait partie de mon quotidien. Chaque coup de poing, chaque bagarre était une manière de crier à l'aide, de hurler ma détresse. Mais personne ne semblait entendre. Les tensions étaient palpables. Les autres élèves sentaient ma colère et la peur qu'elle inspirait. Mais c'était dans la rue que ma véritable nature se révélait.
Paris. Ses rues pavées, ses monuments imposants, ses quartiers historiques étaient baignés de lumière. Mais pour moi, c'était un labyrinthe sombre et oppressant. Là, j'affrontais des garçons aussi perdus et enragés que moi, des âmes tourmentées cherchant à s'affirmer dans un monde indifférent. Les quartiers de Stalingrad et de Porte de la Chapelle devinrent mes champs de bataille. Chaque ruelle pouvait se transformer en une arène où la violence éclatait comme un feu d'artifice. La rage qui bouillonnait en moi trouvait son exutoire dans les bagarres incessantes que je provoquais ou auxquelles je me retrouvais mêlé. Cependant, je savais que je devais rester invisible aux yeux de la police. La moindre arrestation pourrait ruiner mes espoirs d'avenir.
Je n'avais plus rien du petit garçon londonien doux et obéissant. Mon accent s'est envolé et la langue de Molière n'avait plus de secret pour moi. Les quelques centaines de livres qui avaient reposé sur ma table de chevet ont fini par m'abreuver. Certains disaient même que je parlais beaucoup trop bien français pour un immigré. J'étais devenu un vrai Parisien, du genre agressif et dépressif à la fois, pas ceux qu'on voit dans les films et les séries, le genre de Français qui déçoivent les touristes et qu'on essaye de terrer dans l'ombre.
Malgré tout, ma soif d'une réussite digne ne faisait que s'accroître, alors au collège je faisais en sorte de ne pas me battre. Je tenais à mon image d'élève doué et je préparais le brevet avec une motivation sérieuse. J'aspirais, en guise de revanche, à intégrer un lycée prestigieux l'an prochain, et pour cela, je me devais d'avoir un dossier irréprochable. Mes professeurs avaient eu écho de mes bagarres de rue et certains croyaient bien faire en me prêchant leurs discours moralisateurs, ignorant ce que je subissais chez ma famille d'accueil.
Les Connor étaient la source de ma colère insatiable. Connor, avec ses airs sévères et ses mains lourdes, trouvait toujours une excuse pour me punir et ne manquait jamais une occasion de me rappeler ma condition de "gamin à problèmes". Estelle, indifférente et complice, observait la scène avec une froideur qui me glaçait le sang. Le soir, je restais éveillé, guettant les bruits de la maison, craignant une nouvelle confrontation. Les murs de ma chambre étaient devenus mes confidents silencieux, témoins muets de ma souffrance. Chaque coup reçu de leur part me poussait davantage dans les bras de la violence et la spirale infernale continuait de tourner. Malgré mes tentatives de la fuir, elle me rattrapait, inlassablement.
Maman me manquait terriblement. Le souvenir de son doux visage parvenait à me réconforter, parfois. Sans délicatesse, on m'a appris qu'elle s'était pendue dans sa chambre d'hôpital le 29 mars 2009. Pile trois ans après avoir quitté Londres, trois jours avant mon anniversaire. À ce moment-là, mon seul espoir venait de me quitter. Je me suis senti mourir. Ce que je ressentais était abominable, c'était un sentiment qui allait au-delà de la tristesse, au-delà de la douleur. Comme si l'humain n'avait jamais eu la force de qualifier cette sensation. J'avais l'impression que mes organes étaient en train de fondre et que mon cœur se consumait. J'étais incapable de pleurer mais j'avais terriblement envie de quitter ce monde moi aussi. Des images terrifiantes me venaient en tête ; j'étais incapable de regarder une fenêtre sans avoir envie de sauter à travers ou de regarder des objets tranchants sans avoir envie de me les enfoncer dans la peau, et les crises de panique étaient devenues incessantes. Il ne me restait rien d'elle, pas même une photo.
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Love Syndrome
RomanceHarry Stuart est un psychologue respecté, mais derrière son professionnalisme et sa réputation brillante se cache un lourd secret : c'est un tueur en série qui traque les bourreaux de ses patients et ceux de son passé douloureux. Marqué par une enf...