Chapitre 1

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Gabriel

Je devais avoir douze ou treize ans quand ma passion pour la politique a commencé. Mes parents m'avaient emmené à une manifestation contre Jean-Marie Le Pen qui était arrivé au second tour des élections de 2002. L'ambiance, la réflexion, la stratégie, l'organisation du pouvoir français, tout ceci allait rapidement devenir un engouement, une vocation.

Et me voilà aujourd'hui, vingt-deux ans plus tard, une coupe de champagne à la main, en train de discuter avec mes collègues et opposants lors de cette soirée organisée par le grand patron.

La salle est richement décorée, des boissons et des mets en tous genres sont servis, et de la musique s'échappe de la pièce d'à côté. D'habitude j'aime bien ce genre d'évènements, mais ce soir je suis plus fatigué. Être ministre chargé des comptes publics est autant un honneur qu'une charge de travail intense. Ma vie personnelle en pâtit, surtout ma vie sentimentale. Deux longues années depuis la rupture de mon pacs, aucune rencontre ou peu de temps à consacrer à quelqu'un. Ma vie me convient globalement, ponctuée de péripéties politiques dignes des meilleures séries américaines.

Je ris à la blague d'un sénateur, quand mes yeux se posent d'eux-même sur le grand homme qui passe à côté de moi sans me voir. Je le suis du regard, tandis qu'il évolue avec prestance et confiance entre les invités. Son visage m'est familier.

"Ah il est venu..." me dit mon interlocuteur.

"Vous le connaissez ?

-Jordan Bardella, le petit protégé de Madame Lepen. Il est déjà vice-président du parti, et il finira incessamment sous peu à sa tête.

-J'avais entendu parler de lui, mais je ne l'avais jamais rencontré.

-Vous ne ratez rien. Encore un extrémiste qui se croit meilleur que nous."

J'acquiesce distraitement, détaillant chaque détail de son visage pour l'imprimer dans mon esprit. J'avais déjà vu des photos de lui, mais le voir en vrai est différent. Il est plus grand que ce que je pensais, et bien plus... charismatique. J'avale de travers ma gorgée de champagne lorsque nos regards se croisent une demi-seconde.

"Pardonnez-moi, je dis au sénateur en essuyant ma bouche à l'aide d'une serviette en papier.

-Je vous en prie."

Je m'éloigne un peu pour tamponner mes vêtements avec une serviette sèche, entre l'un des buffets et un pot de fleur doré qui m'arrive à la taille. Rien de bien méchant, mais une tâche foncée colore le bleu de ma cravate.

"Bonsoir Monsieur Attal."

Je relève les yeux vers mon nouvel interlocuteur. C'est lui, avec son sourire fier. J'affiche mon visage classique, neutre, et arrange ma cravate avant d'hocher brièvement la tête.

"Monsieur Bardella.

-Nous n'avons jamais été présenté, je me permet donc de venir le faire moi-même.

-Il était inutile de vous donner cette peine. Nous nous serions croisés à un moment où à un autre, sur un plateau de télévision ou ailleurs.

-Je tiens personnellement à me présenter à mes confrères et consœurs, qu'ils soient de l'opposition ou non, me répond-il avec une légère touche d'arrogance.

-Avec un parti comme le vôtre, je suis étonné d'autant de savoir-vivre."

Ma réponse le fait tiquer, son sourire s'amincit.

"Mon parti n'est pas moins poli qu'un autre, monsieur. Force est de constater que vous aussi faites partie de ceux qui jugent les personnes qui ont une opinion différente de la leur.

-Je n'ai pas besoin de votre avis sur le sujet. Je suis libre de penser ce que je veux.

-Et moi non ?

-Je n'adhère pas à vos idées, inutile de débattre sur le sujet.

-Au contraire je trouve cela très intéressant", me dit-il en prenant une poignée de cacahuètes pour la porter à sa bouche.

Cette interaction semble autant l'amuser que l'agacer. Je me concentre pour maintenir mon masque politique et ne pas devenir désagréable.

"Tout le monde connaît les origines et les idéaux du Rassemblement National.

-Apparemment pas. Je pense que vous seriez surpris de nos potentiels points communs. Puis une entente cordiale est toujours plus avantageuse que des tensions inutiles.

-Je n'ai ni l'envie ni l'énergie de chercher ce genre d'entente avec vous. Tenons nous en au minimum de la politesse.

-Et bien, quelle étroitesse d'esprit... J'ai hâte de débattre avec vous, Gabriel."

Mon prénom dans sa bouche ressemble à la fois à une menace et à une promesse. De quoi ? Je n'en sais rien, et je ne veux pas savoir.

"Monsieur Attal."

Jordan Bardella sourit, fier que je réagisse à sa familiarité. Ce putain de sourire.

Il prend une coupe sur la table à côté de moi, effleurant mon bras, et me fait un clin d'œil arrogant tout en levant sa coupe comme pour trinquer. Il se fiche ouvertement de moi, et dans un dernier regard brun chaud, s'éloigne.

Je soupire en passant une dernière fois ma serviette sur ma cravate. Je relève les yeux vers mon opposant qui se pavane avec orgueil dans la foule, comme s'il était dans son élément.

J'ai hâte de me retrouver un jour face à lui pour briser un à un ses arguments et ses déclarations. 

Après le débatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant