Calyx se masse l'arête du nez.
Ils savent, oui, mais que peuvent-ils accomplir ? Elle les regarde, tous : Ahmasis qui, la veille encore, pleurait son amie assassinée, Meidoun égratigné et terreux de la tête aux orteils, Ériphos aux yeux brumeux. Même s'ils parviennent jusqu'au pharaon ou aux plus hautes instances du pouvoir, les écoutera-t-on ? L'armée encercle la ville en ce moment même. S'ils attendent le banquet, ce soir, il sera peut-être trop tard. Les Séleucides infiltrés peuvent agir à tout moment : empoisonner les citernes, se glisser dans le palais, s'emparer de ressources stratégiques.
Ahmasis s'agite, caresse son chat. L'animal dispose d'une propension inouïe à filer puis reparaître selon sa guise !
— L'armée, le chaos, frémit-elle. Nous avons vu ce qui attend si on ne fait rien. Sekhmet nous a avertis. Il faut tout arrêter.
La fillette serre les dents derrière une façade de prêtresse, mais elle n'a pas de miracle à offrir, Ériphos tripote son inséparable flûte de roseaux, lèvres scellées, et Meidoun... À bien y réfléchir, il vaut sans doute mieux que Meidoun ne propose rien.
Calyx se force à enfermer peine et angoisse à double tour. Si elle pouvait jeter la clé au fond d'un puits, ce serait encore mieux. Les « et si » et les « peut-être » n'aideront ni son frère, ni ses parents, ni Alexandrie tout entière. Elle n'est pas une érudite, encore moins une stratège militaire, elle ne dispose d'aucun pouvoir politique, mais elle détient des éléments dont aucune de ces précieuses autorités n'a conscience. Sa mère lui dirait de croire en elle, que chacun dispose de sa propre flamme, de ses atouts, d'une place qui lui revient. Pourquoi les Dieux l'ont-ils placée en cette heure, devant les portes closes d'Alexandrie, en si étrange compagnie ?
Elle inspire, gonfle ses poumons, se drape d'un voile de calme.
— Il existe peut-être une solution. L'oracle parlait d'une arme. Peux-tu répéter le poème, Ériphos ?
L'aède s'éclaircit la gorge, obéissant :
— « La nuit, le peuple danse et chante ;
Se lève l'aurore sanglante.
Face au fer, un espoir domine,
Forgé par la flamme divine.
Un seul brandira ce fleuron :
Pharaon, tous l'appelleront. »— Un espoir forgé, répète-t-elle.
Un remous lui malmène l'estomac, une sorte de compréhension diffuse. Elle a l'impression que la signification des vers l'attend à portée de pensée. Le descendant de Nectanébo veut profiter de l'attaque et de la confusion pour s'emparer du trône, mais ne peuvent-ils pas retourner l'oracle à leur avantage ?
Sur la tête de Meidoun, entre deux mèches ébouriffées, Drakôn bat de la queue. Les tâches orange pulsent d'un feu intérieur au rythme des mots prononcés. Calyx se mord la lèvre. Les yeux bombés l'observent comme s'ils pouvaient suivre son cheminement intérieur. Même la bouche arrondie paraît l'encourager d'une mimique cryptique.
— Nous avons la flamme divine..., murmure-t-elle à la poursuite d'une intuition.
Peuvent-ils devancer leurs adversaires ? Forger eux-mêmes l'arme qui sauvera tout ? Une cuirasse inébranlable, un bouclier indestructible ou une épée invincible ? Formulé ainsi, cela paraît risible. Elle ne saurait même pas soulever un marteau en s'y prenant à deux mains et ne voit pas plus comment un lézard parviendrait à activer un soufflet.
— Mais il nous manque un forgeron, relance Ahmasis, alors que les autres ont Patroklès.
Ériphos lui darde un œil noir. Trop tard. Les paroles sont prononcées. Calyx tressaille, rappelée en quelques mots innocents au danger mortel que court son frère. L'inquiétude frappe à la porte mal fermée, suinte sous le seuil, érode son beau manteau de calme. Plutôt que de bâtir un plan sur des chimères, ne devrait-elle pas plutôt se concentrer sur ce qui est à sa portée ? Retrouver la trace de Patroklès, l'arracher à ses geôliers, le ramener à la maison, en sécurité, et prier Athéna pour que les murailles de la ville tiennent bon ?
VOUS LISEZ
Les Flammes de Pharos
FantasyUn festival. Deux royaumes en guerre. Une créature infiltrée depuis le monde des Dieux. Alexandrie, l'écrin des Muses, son phare immuable. Tout le monde grec se presse pour participer aux jeux organisés par le pharaon : l'occasion de briller de prou...