Chapitre III : Mauvaise rencontre

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Je me réveillais au beau milieu d'un vaste champs doré. Des épis de blé frôlaient ma peau, mon visage illuminé par le clair de lune. Les poils de mes avant-bras se hérissaient sous la brise. Il faisait bien plus froid que cet après-midi.

Je fixais la lune blanche, pleine et brillante, en essayant d'éclaircir mes pensées embrumées par le sommeil. Le ciel était étoilé ce soir mais il était davantage bleu marine que noir. C'était une sensation étrange comme un rêve dans lequel je m'étais perdue au milieu d'une épaisse brume, cherchant la sortie sans jamais m'en approcher.

Et bien, cela ne pouvait qu'être le contrecoup de la magie du mercenaire. Et pour couronner le tout, mon crâne me faisait un mal de chien. Je frottais mes paupières dans l'espoir d'en apaiser la brûlure. Je parvins enfin à défaire ma vue de cet étrange voile flouté quand j'entendis au loin le bruit de lointaines conversations.

Je me redressai sur les coudes et cherchais par-dessus le champ l'endroit d'où provenait le son. Les poils de ma nuque se hérissèrent alors que ma gorge se noua. Mon instinct de survie se réveilla à l'improviste. Sans que je puisse m'en expliquer pourquoi, tous mes signaux d'alarme s'allumèrent. J'avais appris à faire confiance à mon corps. La nature ne hurlait jamais sans raison.

Neyfran était trempée et endormie à mes côtés. Je rampai sur quelques mètres pour me rapprocher d'elle et priais le ciel pour que personne n'entende le bruissement provoqué par mes genoux sur le sol. Quand Neyfran fut enfin à ma portée, j'effleurais le dessous de sa mâchoire. Elle frissonna avant que ses yeux bleus s'ouvrent en grand, presque sur le point de sortir de leur orbite, quand un cri strident résonna juste derrière nous.

—A droite ! 

Je ne voyais pas de qui il s'agissait mais c'était sans nul doute la voix d'une femme. Elle n'était pas rauque mais grave et chaude. Un sentiment familier m'enveloppa au son. De nouveaux cris me coupèrent dans mes pensées. Elle n'était pas seule et il semblerait qu'ils se disputaient. Je sentis mon pouls battre jusque dans la pulpe de mes doigts.

J'attrapai Neyfran et la fit glisser dans mon sac à dos aussi vite que je pus. J'entendais des pas se rapprocher mais j'avais l'espoir que leur querelle les distrairait assez longtemps pour que je puisse me faufiler dans les bois.

En soi, je n'avais aucune raison de fuir, j'étais attendue ici comme tous les appelés. Mais quelque chose clochait. Il faisait peut-être nuit mais il n'était pas si tard. Il devait manquer encore la grande partie des participants surtout qu'aucun horaire précis n'avait été donné. Ils semblaient être seul et en quête de quelque chose et je ne voulais pas me retrouver en travers de leur chemin.

Indépendamment de ce que ma raison me disait, mon corps, lui, était aux aguets. Un frisson me parcourut alors que mes mains se mirent à trembler. Dans ce monde, certaines choses ne s'expliquaient pas parce que l'impossible ne l'était pas. Alors tout devenait sujet à la peur et l'angoisse. Quand chaque cellule de votre être vous hurle qu'il faut partir, on les écoute surtout face à l'incertitude.

Alors que je m'accroupissais avec Neyfran sur le dos, à demi-recourbée dans une vaine tentative de rester dissimulée par la végétation, j'eus un bref aperçu de sa silhouette alors qu'elle se retournait pour faire de grands signes de bras dans la direction opposée, brassant l'air autour d'elle dans un geste autoritaire.

— Bordel ! éructa-t-elle, excédée par le manque de réponse de son camarade.

Elle s'adressait à un jeune homme qui se trouvait dans le bosquet derrière elle. Il avait l'air aussi perdu que moi alors qu'elle continuait à pester dans sa barbe, me tournant toujours le dos.

Soudain, mon pied ripa et s'écrasa sur une petite brindille dont le craquement résonna dans la clairière. Je m'immobilisai, à genoux derrière les épis de blé, priant pour que leur discussion ait recouvert le bruit.

Mon espoir fut de courte durée quand elle bifurqua dans ma direction, ses longues mèches de cheveux noirs s'envolant au passage. Ses yeux marron accrochèrent les miens à la seconde où tout son torse fut détourné du bosquet. Sur son épaule droite, se tenait une énorme mygale tachetée noire et blanche aux dix yeux rouge vif, portant un minuscule sac à dos marron où les sangles étaient attachées contre son ventre bombé.

La femme lui donna une petite tape affective sur le haut de sa tête velue, ses énormes pattes recourbées dans la bretelle de son haut pour rester agrippée à elle. Sa tête se baissa, ses crocs menaçants alors qu'elle hissa en notre direction. Neyfran jappa dans mon dos lorsqu'elle aperçut la bête.

On n'était pas beaucoup plus courageuse l'une que l'autre mais je réussis à passer mes mains dans mon dos pour calmer les battements de son cœur que je sentais s'emballer contre ma peau.

La femme ressemblait à une guerrière, des bandelettes de cuir parcouraient tout son corps et les flèches d'un arc reposaient dans leur carquois à sa taille. Elle avait le teint olive et des yeux espiègles. Ils étaient hypnotisant de par leur intensité, comme s'ils étaient le reflet du feu qui brûlait en elle. Son nez était fin et élégant contrastant avec l'image féline qu'elle dégageait. Ses cheveux lui arrivaient au nombril mais elle avait attaché de fines tresses à l'arrière de sa tête alors que d'autres pendaient avec le reste de ses cheveux emmêlés. Le dessous de son crâne était rasé de près et ses oreilles recouvertes de dizaines de piercings argentés.

Alors que j'étais tétanisée devant elle, sa démarche se transforma. Ce n'était plus une femme mais un prédateur guettant sa proie, prêt à bondir. Quand elle recourba le bout de ses doigts et que ses mains prirent la forme d'une pince, ils se mirent peu à peu à se tinter de noir. L'ombre autour d'elle se dissipa comme aspirée par ses ongles. Lorsque le noir eut atteint ses poignets avant de se diffuser jusqu'à ses coudes, elle desserra sa poigne stoppant l'aspiration.

Son regard rivé au mien à travers l'interstice laissé par les tiges de la plantation, elle continua d'avancer.

Jamais de ma vie je ne m'étais sentie aussi démunie. J'avais pourtant vécu mon lot de mésaventures mais rien ne m'avait terrorisé comme le faisait la lueur dans son regard.

Mais le plus épouvantable encore, c'était que son identité ne m'était pas inconnue.

Ash la Mangeuse d'Ombres.

Son nom inspirait la peur de Kulmi à Kesepian.

Le pire ? Ce que je fuyais comme la peste depuis des années, c'était elle.

Alors que j'étais paralysée par la peur, un rictus étira ses lèvres roses.

— Je vais pouvoir m'en occuper seule, Crispin, ironisa-t-elle.

Son corps s'élança, ses bras menaçant de ses ténèbres, et elle se mit à courir. Dans ma putain de direction.

Les choses allaient se complexifier.

J'allais mourir.

La voie du sang [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant