9. Petit faon

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When The Devil Speaks - ThxSoMuch

Stalker (v.). Quand deux personnes partagent une longue promenade romantique, mais que seul l'un d'entre eux est au courant.

L'idée me fait rire.

Dans n'importe quelle histoire de vengeance digne de ce nom, la victime devient le persécuteur, la proie devient le prédateur, le menacé devient la menace.

Dans la mienne, le stalker devient le stalké.

Je n'ai pas encore digéré la manière dont mon chasseur s'est joué de moi, hier soir. Or, pour citer les bouseux qui servent de potes à mon frangin : tu me voles un œuf, je te saigne comme un bœuf. Ces connards ne fonctionnent qu'avec deux neurones qui se battent pour la troisième place, mais leur esprit vindicatif est une source d'inspiration.

Minuit approche. En parfaite stratège, j'ai laissé la lumière du salon allumée. J'ai également inséré un vinyle des Foo Fighters dans le tourne-disque. Les percussions de malade de Dave Grohl font trembler l'herbe du jardin. Je n'ai plus qu'à attendre que mon gibier tombe dans mon piège. Je suis acculée si loin de la civilisation que les étoiles semblent plus nombreuses, scintillant dans le ciel d'un noir d'encre au-dessus de ma tête. Quand j'habitais en plein centre de Bedford avec ma mère et mon frère, on les voyait à peine.

Installée sur l'une des chaises en bois autour de la table de la terrasse, je relie les minuscules points lumineux entre eux. J'ai une imagination folle et le ciel devient ma toile. Prenez cette constellation en face de moi, par exemple : elle m'a tout l'air d'une bite. Je vous jure. Avec une couille plus petite que l'autre, exactement comme dans la vraie vie. Et plus à gauche, j'en décèle une deuxième qui ressemble à une horloge. Juste une horloge. Avec une étoile plus grosse étincelant en son centre. Oh... ça pourrait être un sein.

Je ricane toute seule.

Le son meurt dans ma gorge lorsque je perçois le bruissement d'un buisson. Je me fige. Quelques secondes plus tard, mon chasseur se dessine dans la pénombre, sa silhouette plus opaque que celles derrière lesquelles il se tapit. Il s'approche de la lumière d'un pas tranquille et s'immobilise à dix centimètres de la porte-fenêtre, là où la clarté du salon rencontre l'obscurité de la nuit.

Combien de fois s'est-il tenu ainsi sans que je ne le remarque ?

Il ne peut pas me voir de là où je suis, mais moi je le vois. L'épieur devient l'épié. Et putain, je ne me gêne pas. Il est grand, tout de noir vêtu. Bottes noires, pantalon noir, et bien sûr, hoodie noir avec la capuche relevée sur son crâne. Pratique. Ma faucheuse ne voudrait pas que je découvre son visage putride. Pour ma part, j'ai enfilé l'une des chemises en tartan trouvées dans le grenier par-dessus un t-shirt loose à l'effigie des Guns and Roses, ainsi qu'un short en jean élimé, des bas résille et mes bonnes vieilles Doc Martens.

Le nuisible à ma porte s'allume une clope et sort son téléphone de la poche arrière de son pantalon. J'ignore ce qu'il fixe avec autant de passion, mais il ne bouge pas pendant un moment, à part pour les va-et-vient de sa main à sa bouche. J'ai l'impression de planer rien qu'en le regardant respirer. C'est d'autant plus excitant que je ne me cache qu'à cinq mètres de lui. Je me sens comme une reine sur son trône, et voilà que mon fou se pavane dans le hall royal pour me divertir. Il se tient là, à ma merci. Je détiens l'effet de surprise en ma faveur et les armes pour assouvir ma vengeance. Alors, alors, que faire ?

On hésite à heurter le grand connard de l'histoire?

Je n'hésite pas, je contemple mes options. D'un côté, le couteau à pain que j'ai planqué dans l'élastique de mon short se presse contre ma hanche, m'appelant à lui. Il est vrai que le jardin serait infiniment plus intéressant à admirer à l'aube avec le sang de mon chasseur se confondant à la rosée du matin. Mais d'un autre côté, je me vois bien me munir de ma lampe torche pour éclairer ma face par le bas et hurler « JE T'AI EU ! ».

Ravagés (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant