Comme un jeu d'échecs

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J'essuyais le sang qui coulait sur ma joue avec ma manche. Bellatrix se tenait devant moi alors que nous discutions de ce qu'il était possible d'accomplir ou non avec son pouvoir.
« Donc je peux faire apparaître tous types d'armes » concluais-je d'un léger soupir douloureux.
Quelques minutes plus tôt, le psychopathe auquel j'avais essayé, sans succès, d'échapper était venu me voir. Il semblait prendre un plaisir sadique à torturer ses prisonniers décidément.
Quel cinglé !
C'est juste après que Bellatrix était apparu pour la première fois devant moi.
« Oui mais il est très difficile d'en invoquer deux en même temps » déclara la femme transparente « en revanche avec de l'entraînement, tu pourras les alterner très rapidement. »
À cette déclaration, je me levai pour lui faire face :
« Non ce n'est pas suffisant, il faut que je les massacre tous ! » rétorquais-je sombrement.
« Tu n'est pas prête à prendre ta revanche sur qui que ce soit ! » me contredit Bellatrix.
« Tu m'as mal comprise ! » répondis-je calmement « pour le moment je suis trop faible et terrifiée pour me battre... »
Je dis un léger silence avant de continuer :
« Peu importe le temps que ça prendra, peu importe le temps que je devrais attendre, j'attendrai ! Je ne les laisserai pas s'en sortir comme ça ! Je me vengerai ! Jamais je n'oublierai ce qu'ils m'ont pris ! »
Ces paroles n'étaient pas de mon âge, Bellatrix savait que cette maturité obscure n'était que la vision troublée d'un enfant apeuré.
« Je comprends... »
Suite à cette déclaration, elle baissa la tête comme signe qu'elle me soutenait.
Une part de moi, infime mais bien présente, espérait qu'elle tenterait de me dissuader. Mais elle n'en fit rien et j'étouffais rapidement cette pensée au milieu de celle de vengeance qui prenait de l'ampleur.
« Pour que tu obtiennes ta vengeance, il va falloir que l'on sorte d'ici » annonça finalement l'esprit « et ensuite tu devras trouver quelqu'un pour t'entraîner. »
« Là est tout le problème, on est sur le vaisseau d'un psychopathe complètement taré en manque de neurones. »
« Je n'ai jamais dit qu'il causait un problème » répliqua-t-elle.
Je fronçais les sourcils à son affirmation tandis qu'elle me lançait un sourire narquois.
« Quoi ? Tu pensais vraiment que ta mère n'avait pas pris en compte le risque que tu te fasses capturer ? » ricana l'esprit.
Je restais bouche bée.
« Écoute Ally. Tout ça, c'est un jeu où plusieurs stratégies s'entrechoquent. C'est comme une parti d'échecs, celui qui a la meilleure stratégie remporte la victoire. Ces abrutis pensent avoir gagné ! Sauf qu'en vérité ta mère avait un atout dans sa manche. »
Elle me pointa du doigt :
« Toi ! »
« Moi ? » je haussais les sourcils pas très convaincue.
« Oui toi ! Kali a placé une balise dans ton bracelet, ce qui le connecte directement au réseau de portails de l'Atlantide. »
Elle pointait à présent mon poignet du doigt :
« Et comment on l'active ? »
« Il faudrait que tu le remplisses d'énergie... »
« Je ne sais pas faire » admettais-je timidement.
« Dans ce cas, il va falloir que je te le fasse faire moi-même » soupira-t-elle « mais je dois t'avertir, quand je puise dans ton énergie, ta santé s'en retrouve dégradée. Il va vraiment falloir que tu apprennes à te contrôler, ça pourrait te causer quelques problèmes à l'avenir. »
Le ton que Bellatrix avait utilisé était à la fois perfectionniste et désespéré, ce qui eu le don de m'agacer me faisait serrer les poings.
« Bon alors je te conseille de bien te mordre la lèvre » indiqua-t-elle avant de se transformer en une fumée bleue argentée qui pénétra dans mon bracelet.
Aussitôt que la fumée disparut les sentiments de terreur et de chagrin qui m'avaient saisie revinrent à la charge à toute vitesse. Je tombais sur mes jambes à l'immense douleur qui me saisissait. Suivant le conseil de l'esprit, je me mordis les lèvres pour me retenir de crier jusqu'à faire saigner celles-ci.
Ça faisait mal ! C'était exténuant ! J'avais l'impression que des centaines de couteaux se plantaient en même temps sur mon corps frêle.
Le paysage sembla changer comme un bug dans un jeu vidéo pour passer d'un endroit à un autre. Le nouveau décors parut se former devant les yeux pour que la seule chose que je vis avant de toucher le sol humide fut une paire d'yeux couleur chocolat. Croyant avoir rêvé, je secouai la tête pour me remettre les idées en place.
« Je crois que je deviens folle » marmonnais-je en me relevant lentement.
Mon pouvoir semblait s'être étrangement affaibli, ce qui n'allait pas me faciliter la tâche pour me repérer dans cette immense cité.
Je pris un instant pour réfléchir à ce que je devais faire maintenant. Cassie se trouvait dans cette ville, peut être devrais-je aller la voir ?
Non ! Je bannis cette pensée de ma tête d'un soupir, jamais je ne pourrais aller la voir et la regarder dans les yeux après ces derniers événements.
Où aller alors ?
Je me perdis dans mes pensées tandis que j'observais la voute marine au dessus de la ville. Toute sorte de poissons et de créatures marines semblaient danser autour de la ville.
Ce n'était pas la première fois que je venais ici, j'y étais déjà venue avec ma famille à plusieurs reprises quand j'étais plus jeune.
Ma mère connaissait un scientifique qui habitait dans la cité. Il me montrait souvent ses inventions quand j'allais le voir.
Il était sans aucun doute une personne que j'appréciais et à qui je pouvais faire confiance.
Après plusieurs secondes, je me dirigeais vers sa boutique.
Arrivée devant la porte, je toquais et fut surprise lorsqu'une voix s'éleva sortant de nulle part demandant qui était là.
Étant déjà venue ici, je savais que le propriétaire de cette boutique avait mis en place un système afin de ne faire entrer que certaines personnes. Apparemment il ne voulait pas que quelqu'un le trouve.
D'une voix traduisant ma détresse, je prononçais :
« Bellatrix »
La pire s'ouvrît sur Rico que je surnommais « Stark » quand j'étais plus jeune mais aujourd'hui je ne trouvais plus cette naïveté qui me définissait tant.
L'inventeur me sourit avant de se baisser à mon niveau pour me demander ce qui n'allait pas.
Sans vraiment comprendre pourquoi, des larmes coulèrent sur mes joues. Peut-être était-ce à cause des nombreux traumatismes de ces dernières heures ou l'effet ? Ou l'effet de voir un visage familier ?
Rico me serra dans ses bras sans un mot avant de me faire entrer. Il me fit m'asseoir sur une chaise puis me tendit une tasse de chocolat chaud.
Lentement et entre plusieurs sanglots, je racontais ce qu'il s'était passé sans réussir à me concentrer, j'évacuais l'ensemble des émotions que je ressentais.
Rico m'écouta silencieusement mais je voyais des éclairs de douleur dans ses yeux. Ma mère était l'une de ses plus précieux amis.
Quand j'eus fini de raconter, Rico me demanda :
« Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? »
Un silence s'installa avant que je ne réponde :
« Je veux vivre une vie ordinaire tout en apprenant à me contrôler et trouver des réponses » mentis-je à moitié.
Ma voix me fit frissonner alors même que je parlais, elle avait l'air si froide, si cynique... elle était d'autant plus terrifiante en sachant que c'était la mienne.
« Donne du pouvoir à un homme et il en perd son humanité dévoré par la cupidité » marmonna-t-il entre deux souffles.
Je relevai la tête vers lui sans comprendre :
« Un jour tu comprendras ce que je veux dire... »
Ses paroles mystérieuses me firent froncer les sourcils d'incompréhension :
« Pour le moment tu dois choisir un nouveau nom » déclara Rico.
« Un nom ? »
« Tu sais bien que lorsqu'un GAS reçoit son pouvoir, il choisit un nouveau nom qui lui correspond, c'est comme une renaissance. »
« Je vois... » murmurais-je.
Je fixais mon bracelet à mon poignet.
Un nom... que pouvais-je choisir ? Il est vrai que je n'avais jamais aimé le mien.
Aliénor Serena Listia.
Aliénor était trop et était d'un autre temps, franchement je me suis toujours demandée à quoi ma mère pensait le jour où elle m'a baptisé.
Serena, quand à lui est plutôt passable à part que j'ai toujours eu l'impression qu'il ne me correspondait pas avec son côté princesse.
Je voulais un nom qui me correspondait, un nom qui me définissait, qui traduisait mes souvenirs qu'ils soient heureux ou non.
Les GAS de Bella prenait le nom de Silver depuis des générations et je n'avais pas l'intention de rompre cette tradition.
Alors que je réfléchissais à un nouveau nom, une pensée m'envahit. Mon frère et mon oncle ! Ils n'étaient pas là lors de l'invasion d'obscureurs. À l'heure qu'il est, ils doivent être revenus au village et avoir vu le massacre.
Devrais-je retourner les voir ?
« Non » murmurais-je.
Je ne voulais pas, je ne pouvais pas, je ne devais pas.
C'est alors qu'un nom me vint à l'esprit. Ce nom ne me correspondait pas, mais il servirait à me rappeler éternellement de mon passé.
Mes souvenirs, mes proches morts, ceux que j'allais abandonner, et ma douleur, je plaçais tout dans ce nom.
« Livio, Livio Silver » déclarais-je d'une voix froide et monotone « se sera mon nouveau nom. »
Livio...
Le prénom de mon oncle...
Le deuxième prénom de mon frère...
Il symbolisait les gens que j'aimais, que j'avais abandonnés et qui continuaient à vivre.
Désormais j'étais seule...
Je n'étais plus cette petite fille faible qui n'arrêtait pas de pleurer.
Désormais j'étais le monstre...
Et ce monstre plus un pion dans un jeu...
Désormais j'étais l'un des joueurs de cette grande partie d'échecs dont l'unique fin était la vengeance.

Atterrir dans les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant