Le coeur à la fête

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D'apparence, Abigaïl et Hafsa n'avaient rien à voir. Abigaïl était grande et blonde, tandis que Hafsa était petite et brune (enfin, sous son turban). Abigaïl avait grandi dans une riche famille flamande, bourgeoise et chrétienne, tandis que Hafsa avait grandi dans une famille prolétaire, issue de l'immigration, dans le quartier le plus craint de la région Bruxelloise. Pourtant, les destins de ses femmes avaient définitivement été écrits pour se croiser. Ce fameux jour de juillet, celui où Abigaïl avait posé ses valises dans la maison voisine à celle de Hafsa, n'avait pas seulement signé le début de l'amitié entre Dina et Théo, mais aussi celui entre leurs mères. Deux mamans solos, prises en otage par le célibat, se rencontraient et devenaient voisines. Secrètement, Hafsa remerciait souvent Dieu de lui avoir envoyé une telle bénédiction.

Sur le perron de la porte, Dina et Théo échangèrent un sourire complice avant d'ouvrir. Puis, Dina enfonça la clef dans la serrure. Un tour. Deux tous. Et...

- Félicitations ! s'exclamèrent Abigaïl et Hafsa en soufflant dans des sifflets multicolores à leur nez, les mêmes qu'elles avaient utilisés pour les anniversaires de leurs enfants et qu'elles avaient encore en stock parce qu'elles avaient toujours peur de manquer de quelque chose.

Les deux femmes éclatèrent de rire face aux mines désabusées de leurs enfants, comme satisfaites de réussir encore à les surprendre. Elles les embrassèrent de fierté et les invitèrent à prendre place à table. Il était déjà l'heure du déjeuner, elles avaient tout préparé ensemble. Hafsa s'était chargée de cuisiner un tajine aux citrons confits - le préféré de Dina - et Abigaïl s'était chargée de préparer de bonnes gaufres flamandes, avec une limonade maison. C'était le meilleur cadeau qu'on pût faire à leurs enfants.

- Merci, vous êtes les meilleures, dit Dina en se léchant les doigts à la fin du repas.

- Et c'est pas fini ! ajouta Abigaïl en se levant.

De son sac à main, Abigaïl sortit deux paquets cadeaux. Elle en tendit un à Dina et un à Théo.

- C'est quoi ? s'étonna Théo.

- Ouvrez ! s'empressa Hafsa.

De tous les cadeaux qu'elles avaient pu leur offrir, celui-ci était certainement le plus kitch, mais aussi le plus mignon. Derrière le papier cadeau déchiré, un album photos personnalisé, avec une jolie photo des deux meilleurs amis, à leur huit ans, attendait patiemment d'être ouvert.

- Sérieusement... s'exaspéra Théo

- Arrête, c'est trop mignon ! s'enthousiasma Dina.

- On est fières des adultes que vous devenez. On espère que vos routes ne se sépareront pas après le lycée, c'est parfois difficile de conserver une amitié après cette période, même les plus belles, les prévint Hafsa.

- Impossible, on a grandi ensemble, la rassura Théo.

- Et peut-être même qu'ils finiront ensemble... les taquina Abigaïl.

- Beurk, jamais de la vie ! dit Dina en simulant une nausée.

- Ca serait presque incestueux, s'indigna Théo à son tour.

Hafsa, quant à elle, priait intérieurement pour que ça n'arrive pas. Ce genre de blague ne la faisait plus du tout rire depuis que sa fille avait atteint l'âge de quatorze ans. Lorsqu'ils étaient plus petits, les deux mères aimaient rire de cela, mais, pour Hafsa, les choses ont changé lorsque le corps de sa fille a lui-même commencé à changer. Plus Dina se rapprochait de l'âge de marier, plus la probabilité qu'elle tombe éperdument amoureuse de Théo et décide de construire sa vie avec lui la terrifiait. Elle n'avait rien contre Théo, ni même contre sa mère. Elle le trouvait très charmant, très poli et très serviable. Seulement, il n'était pas musulman et c'était impossible pour elle d'envisager un quelconque mariage pour sa fille avec une personne d'une autre confession. Ce qui la rassurait, c'était que Dina connaissait les règles et qu'elle y adhérait d'elle-même, Dieu merci. Hafsa n'avait pas eu à vivre ce que certains parents musulmans pouvaient connaître avec leurs adolescents : le fait de voir leur enfant s'éloigner de la religion qu'ils ont pourtant pris tant à cœur de leur transmettre. Et, de toute façon, une fille comme Dina n'intéressait sûrement pas Théo, lui qui aimait tant s'amuser et qui avait déjà eu quelques petites-copines.

À tous nos étésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant