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Slavko fixait le plafond décrépi de son appartement. Les derniers événements tournaient en boucle dans son esprit, gravés au fer rouge dans sa mémoire. Becca réalisait-elle la gravité de ses actes ? La Résistance avait-elle conscience du massacre qu'elle était sur le point de commettre ? Brand était-il sérieux quand il lui avait fait promettre de veiller sur Max ? Et d'ailleurs, pourquoi Max avait-il doublé ses heures pour le sauver, lui, son adversaire de toujours ? Avait-il réellement bon cœur ? Ou respectait-il simplement les volontés du vieillard ? Sans parler de Carter et de son radar bricolé, un rafistolage qu'il avait gracieusement offert aux Guards lors de son sauvetage. Le silence qui régnait dans la pièce fit frissonner Slavko. Pourquoi Mona ne donnait plus signe de vie derrière la cloison ?

Ce bilan nocturne eût raison de la tranquillité du colosse. Depuis qu'il avait arrêté la Sérénité Céleste, ses insomnies étaient devenues un tumulte de pensées intrusives. Il ne se reconnaissait plus. Depuis quand était-il devenu aussi sentimental ? Les émotions, c'était surfait. Ou ce n'était pas fait pour lui, au choix.

S'il était venu s'installer à la Frontière, il y avait trois ans de cela, c'était justement pour tout recommencer à zéro. S'éloigner de ses racines, de ses repères, de tout ce qui lui était cher. Et voilà qu'il se créait de nouvelles relations, de nouvelles attaches, autrement dit : de nouveaux problèmes. Ce qu'il pouvait être stupide.

Comme la Sérénité Céleste, il devait se désintoxiquer de ces personnes. Un vieil adage disait : ne t'attache pas trop à ceux que tu fréquentes, tu risquerais d'attraper leurs rêves. Et ça n'avait pas manqué. Il s'était vu en train de sauver la Frontière et Becca avec. Il s'inquiétait de savoir si sa pathétique voisine respirait encore. Et il était sur le point de s'encombrer avec un jeune louveteau dans les pattes.

Slavko se leva et fixa son reflet dans un miroir. Qui était cet homme émotif, plein de culpabilité qui lui faisait face ? Qui était cet imposteur qui avait pris sa place ? Plus ses yeux scrutaient le reflet, moins il se reconnaissait. Un dégoût soudain lui tirailla la gorge. Il eût envie d'hurler, de détruire ce portrait à main nues, d'annihiler cet écho responsable de tous ses maux.

Slavko le sensible, Slavko le gentil, l'attentionné... Ce Slavko là était mort à l'instant même où la vie avait quitté le corps d'Eve. Rien ni personne ne pourrait faire battre son cœur à nouveau, il en était convaincu. Au fil de ses réflexions, une carapace illusoire se forma autour de lui. Il n'avait pas dit son dernier mot.

L'esprit naturellement combatif du colosse reprit le dessus. Tant pis s'ils pensaient tous qu'il avait bon fond, il allait leur prouver que non. Slavko colla son gigantesque pouce contre la surface plane du reflet. Le miroir holographique se désactiva. Il était temps de déménager.

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Slavko, qui ne tenait plus en place à cause de ses nerfs à vif, quitta son appartement. Sa décision était prise, plus rien ne le retenait ici. D'ici la fin de la semaine, tous les Collecteurs recevront leur paye mensuelle. Il resterait à la Frontière quelques jours encore, le temps de s'occuper des modalités puis il disparaîtrait pour ne jamais revenir. Ses pieds dévalèrent lourdement les marches de son immeuble. Il avait besoin de prendre l'air, de se vider les poumons comme il se viderait la tête.

Etrangement, les cages d'escaliers qu'il traversait étaient bondées de monde, du moins plus qu'il en aurait voulu. Slavko évita grossièrement les vieillards qui toussaient, les enfants qui braillaient et les gaillards qui buvaient à s'en faire péter le gosier. Quand il atteignit enfin le rez-de-chaussée, il comprit son erreur. Dehors, une tempête faisait rage. Le vent s'engouffrait à travers les portes brisées et transportait avec lui tout un tas de déchets. L'air était pratiquement irrespirable. Le géant se protégea les yeux et crispa ses mâchoires. Comment avait-il pu passer à côté d'un tel boucan ?

𝕃'𝔼ℂ𝕃𝔸𝕋 𝔻𝔼𝕊 𝕆𝕄𝔹ℝ𝔼𝕊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant