C'était par une nuit sans lune. Les employés du domaine faisaient des allers et venues, les visages blêmes, excédés après le travail de la journée. Les cris stridents de María ne calmaient en rien leurs angoisses.
María Martinez— damisela María, était en plein travail. Les domestiques venaient d'apporter des serviettes et une bassine d'eau chaude, mais elle refusait d'accoucher tant que le père de son enfant ne serait pas là.
— Soyez raisonnable mademoiselle, monsieur ne viendra pas. Vous risquez votre vie et celle du bébé en vous entêtant ainsi.
Dolores la gouvernante, connaissait María depuis des années. Cette jeune femme n'avait pas eu de chance dans la vie, mais ce bébé qu'elle allait mettre au monde pouvait lui apporter ne serait-ce qu'un peu de bonheur.
— Si Jason ne vient pas, je n'accoucherais pas.
María avait bien conscience que tout cela était stupide et qu'elle risquait sa vie et celle de son bébé, mais elle s'accrochait à ce maigre espoir que Jason viendrait. Elle serra les dents de douleur. Son enfant avait décidé qu'elle allait accoucher aujourd'hui.
— Tant que Jason ne sera pas là, je refuse de pousser, dit-elle fermement.
— Pequeño idiota, lança Dolores en quittant la pièce.
— Mademoiselle, doña Dolores a raison. Vous n'allait pas tenir bien longtemps.
María refusa catégoriquement d'accoucher. Au bout d'une dizaine de minutes, Jason surgit dans la pièce, très en colère.
— Tu es folle, tu le sais ? Tu veux tuer mon enfant ? Rugit-il en la dévisageant.
María sourit en tenant son ventre. Le père de son enfant était là. Il allait assister à l'accouchement.
— Je suis là maintenant. Dépêche-toi pour que j'aille rejoindre ta sœur.
Même si ces mots la blessèrent profondément, elle n'en montra rien et se décida qu'elle devait accoucher pour elle, pour ce bébé qui allait porter le nom de l'homme qu'elle aimait.
Au bout d'une heure, les cris du bébé envahirent la pièce. C'était une fille, avec des cheveux couleur argent et un teint pâle.
— Quelle étrange couleur de cheveux, remarqua Dolores qui avait des cheveux noirs grisonnants.
— C'est un magnifique bébé et en bonne santé, déclara María en prenant son enfant.
Jason regarda sa fille. Soulagé, il voulut s'en aller.
— Non, ne pars pas. Tu ne vas pas la porter ? Lui demanda María en lui tendant le bébé.
— Elle va bien. Donc...
Il sortit et claqua la porte. Dolores l'imita et prévint les autres employés qu'elle avait enfin accouché.
Dans sa chambre, María regarda son bébé, avec un pincement au cœur. Elle la prit pour l'allaiter puis mangea et décida de dormir un peu.Jason marchait d'un pas rapide et entra dans la chambre de Mariana. Celle-ci était couchée sur son lit, un livre à la main.
— A-t-elle accouché ou suis-je en deuil ?
— C'est ta sœur, tu devrais avoir plus de compassion, cracha Jason qui s'était assis au pied du lit et ôtait ses bottes.
— Même si nous sommes jumelles, je déteste encore plus cette voleuse de maris. Qu'elle crève elle et son enfant.
— Tu ne devrais pas dire ces genres de choses. Tu es toi aussi enceinte.
Il la rejoignit sur le lit et l'enlassa. Il avait posé sa main sur son ventre arrondi et lui embrassait le front avec tendresse.
— Notre fils va bientôt naître, dit-elle en fermant les yeux.
— Pourquoi dis-tu que ce sera un garçon ? Il se pourrait que ce soit une fille.
— J'aurai un garçon. L'héritier de tout cela sera mon fils.
Un silence tomba dans la pièce. Toujours la main posé sur son ventre, Jason essayait de détecter les mouvements de son fils.
— Son enfant, est-ce un garçon ?
— Non, c'est une fille.
— Tant mieux.
Elle s'endormit. Jason quitta alors la chambre et partit voir sa fille. Elle dormait à poings fermés à côté de sa mère.
Il s'assit en face d'elles et les regarda dormir pendant une quinzaine de minutes puis retourna auprès de sa femme.
Le lendemain, María s'était réveillée, complètement endolorie. Elle avait mal partout Dolores lui avait fait couler un bain brûlant, tandis qu'elle s'occupait de la toilette du bébé.
— Quel nom va-t-elle porter ? Demanda une domestique qui pliait les vêtements du bébé.
— Elle veut que ce soit un prénom américain, répondit Dolores.
— C'est un bébé américain, dit la domestique. Même si elle est née ici en Colombie ?
— Oui, les américains privilégient beaucoup leurs nationalités. Je crois donc qu'elle sera américaine.
María sortit de la salle de bains et vint allaiter son bébé. La petite avait des yeux vert d'une clarté pure. Elle ne pleurait pas beaucoup et semblait en parfaite santé.
Jason entra dans la pièce. Il dévisagea María qui était en peignoir et demanda à ce qu'elle se présente elle et le bébé dans son bureau dans dix minutes. Après qu'elle finit de se préparer, elle obéit et se rendit dans le bureau de Jason qui se trouvait à l'autre bout du domaine, au premier étage.
Quand elle entra dans la pièce, elle reconnut le médecin de la famille Jones, ainsi qu'un homme qu'elle n'avait jamais vu avant.
— Vous allez bien señorita María ?
— Oui, merci.
Il demanda à prendre l'enfant. L'homme avec lui sortit une malette qu'il ouvrit. À l'intérieur, il y avait le nécessaire pour vacciner un enfant.
Après avoir vacciné le bébé, le médecin salua Jason et quitta le bureau avec l'homme qui l'accompagnait, laissant María seule avec le père de son bébé.
— Passe-moi l'enfant.
Elle lui tendit le bébé qu'il prit avec précaution. La petite n'avait pas pleuré une seconde en recevant son vaccin.
— A-t-elle beaucoup pleuré durant la nuit ?
— Non. Après que je lui ai donné le sein, elle s'est endormie jusqu'au matin. C'est une bonne petite.
Inconsciemment, la petite tint fermement l'un des doigts de son père et émit un gazouillis.
Jason la rendit aussitôt à sa mère et lui demanda de quitter son bureau. Elle sortit donc et retourna dans sa chambre se reposer.
Plus tard dans la soirée, Dolores vint alerter Jason que Mariana avait des fortes contractions et qu'elle venait de perdre les eaux. Il s'était alors précipité à son chevet et voyait comment les médecins s'activaient pour l'aider à accoucher.
— Tu ne veux pas aller à l'hôpital ? Lui demanda-t-il.
— Je ne suis pas si faible. Si elle a pu accoucher dans la maison sans médecin, j'en suis tout aussi capable, répondit-elle avec mépris.
Jason soupira, exaspéré par cet esprit de rivalité qui existait entre les deux sœurs. Comment en était-il arrivé là, pris au piège entre deux sœurs ennemies ?
Il essuya le front de sa femme et lui tint fermement la main. D'après les médecins, son col n'était pas assez dilaté pour debuter l'accouchement.
Il voyait comment elle suait et semblait souffrir le martyr, incapable de soulager ne serait que d'un pourcent sa douleur.
Il serra les dents quand elle tint fort sa main, le visage déformé par la couleur.
— Ce garçon est si robuste. Il me donne du fil à retordre, dit-elle en souriant légèrement.
— À trois, vous commencez à pousser.
— Pardon ?
— Un...
Mariana ferma les yeux et serra davantage la main de son mari. Elle la serrait si fort que les jointures de ses mains étaient encore plus blanches que d'habitude.
— Deux...
Elle se mit à haleter. Sa respiration était saccadée et Jason eut toutes les peines du monde pour ne pas pleurer.
— Trois !
Rassemblant des forces, elle poussa encore et encore. S'arrêtant quand le médecin le lui demandait et souriait pour rassurer son mari.
— Je vois la tête, dit le médecin après trente minutes d'intense effort. Poussez encore.
Mariana transpirait à grosses gouttes et était pâle comme un cachet d'aspirine. Elle prit une grande inspiration et poussa, désirant à tout prix mettre son enfant au monde.
— Jason, notre bébé...
— Ne t'épuises pas à parler ma chérie.
— Non...Notre bébé doit s'appeler Ivan.
— Poussez encore une fois...
— Ivan Jones Marti...Ah !
Après un dernier effort, elle avait réussi à faire sortir le bébé. Le médecin le prit tandis qu'elle se laissa retomber contre le torse de son mari.
— J'ai mis au monde notre bébé...J'ai mis au monde l'héritier des Jones...
— Oui, tu as fait du bon travail, lui dit-il.
Alors qu'il voulait l'embrasser, il remarqua qu'elle avait perdu connaissance. L'un des médecins l'examina et vit qu'elle avait perdu beaucoup de sang.
Ne comprenant pas la situation, Jason fut mis à la porte, rongé par l'angoisse.
— Laissez-moi entrer ! Cria-t-il depuis le couloir. Je veux voir ma femme et mon fils en vie vous entendez ?
Quelques minutes plus tard, il put entrer dans la chambre. Ils avaient changé les draps et Mariana était couchée sur son lit. Elle avait l'air très faible.
— Ma chérie, comment te sens-tu ? Lui demanda-t-il alors qu'il l'avait rejoint. Où est le bébé ?
Mariana semblait ailleurs. Elle pointa le médecin qui l'avait aidé à accoucher et murmura :
— C'est une fille. Una niña pequeña e inútil, dit-elle en versant quelques larmes avant de laisser retomber son bras.
Le regard de Jason passa du médecin à sa femme et il constata avec horreur qu'elle ne respirait plus.