La rencontre

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Dans ce monde, les hommes et les femmes ne se rencontrent jamais avant le mariage. Comment le pourraient- ils ? Les filles ne sortent pas de chez elles. Depuis leur naissance , leurs vies se cantonnent à leurs maisons, leurs caves, leurs greniers, et pour celles qui ont de la chance, leurs jardins. Les garçons , eux ont une vie normale, ils vont au parc, à la crèche, à l'école et aux activités extra-scolaires. Ils peuvent se balader, se rencontrer, étudier, puis ils grandissent et ils vont travailler. Mais pour pouvoir trouver un emploi, ils doivent remplir une condition: choisir une femme et se marier. Le plus ironique dans cette situation, c'est que beaucoup se réjouissent à l'idée de se marier pour avoir une esclave à leur disposition, alors que le spectacle des conditions de vie de leurs mères et de leurs soeurs devrait les repousser. Le jour de leurs dix-huit ans, ils sont appelés dans une des salles des Catalogues. Ce sont d'immenses pièces, avec des bureaux tous compartimentés par des cloisons. Sur chaque bureau se trouve un ordinateur qui contient les différentes propositions des Catalogues. Aucun homme ne peut y déroger.

Quand le jour de l'appel arriva pour Vincent, il crut qu'il allait se sentir mal. Sa mère était très stressée aussi. Ada faisait partie de ces femmes peu nombreuses, qui avaient toujours eu le droit de s'exprimer librement dans sa maison. Son père était un homme qui se posait en faveur de la liberté des femmes. Entre les murs de la maison, il avait toujours essayé de rendre son épouse heureuse, même s'il savait que c'était illusoire; car comment peut on être heureux quand on a aucune liberté? Louis avait travaillé d'arrache- pied pour gagner un très bon salaire. C'était un diplomate spécialisé dans les relations internationales. Il s était servi de cet argent pour agrandir  chaque fois un peu plus l'espace de vie d'Ada et surtout le jardin. C'était sa manière de lui offrir un semblant de liberté. De lui montrer son amour et son respect. 

 Un jour, quand ses fils étaient petits, Louis avait bandé les yeux de son épouse et l'avait emmenée jusqu'à la lisière de leur immense jardin. Là, se trouvait un bois. Ada l'admirait tous les jours derrière le grillage lorsqu'elle faisait sa promenade dans le jardin. Il lui avait pris la main et l'avait posée sur un tronc. Ada n'en avait jamais senti de pareil, elle fut assaillie par les odeurs de la mousse et des feuilles, de la terre et de l'humus. Il lui découvrit les yeux. Elle était dans la forêt! Elle se mit à danser entre les arbres, le visage levé vers le ciel . Ada était consciente de la chance qu'elle avait. Elle pouvait regarder la télévision et voir le monde à travers le prisme de l'écran. Elle avait une grande bibliothèque et pouvait se servir de l'ordinateur.  Voir soir fils partir à l' Appel, était pour elle une grande source d'angoisse, d'abord parce qu'elle était déjà passée par là, et surtout parce qu'elle ne savait pas dans quel état serait la future femme de Vincent quand elle arriverait. 

L'heure était venue pour Vincent et pour toute sa famille. Leurs vies seraient différentes pour toujours. Ada et Louis, essayèrent de le préparer à cette épreuve du mieux qu'ils purent. Sa mère lui expliqua que dès qu'il aurait fait son choix, qu'il s'avère bon ou mauvais dans le futur, il devrait toujours respecter sa femme et lui faciliter la vie le plus possible. Que même si l'amour ne venait pas, il serait dans l'obligation d'être gentil et de la laisser complètement libre et autonome dans ce monde minuscule que serait sa maison. Elle lui dit qu'il devrait suivre l'exemple de son père et travailler dur pour offrir le plus d'espace de vie possible à sa femme et à ses futures filles; même si bien-sûr, elle lui souhaita de ne pas en avoir. Avant qu'il parte, elle lui fit une dernière recommandation: si, devant le Catalogue il n'arrivait pas à se décider, il devait s'il en avait la force, choisir celle qui avait l'air le plus malheureux. Ada serra son fils dans ses bras et le regarda partir avec son mari, cachée derrière les rideaux des fenêtres. Dès qu'ils sortirent de  la maison, chacun adopta son masque d'extérieur. Ils devaient ressembler à ce que la société leur demandait d'être, des hommes froids et dénués de sentiments, surtout à l'égard des femmes. En dehors de leur domicile tous les hommes étaient surveillés, certains même chez eux. Plus leur situation était élevée, moins il y avait de caméras et de micros dans la maison. Chez la plupart des dignitaires, en gage de confiance de l'Etat, il n'y avait aucun système de surveillance. Mais à l'extérieur, aucun comportement suspect ne devait transparaître, sous peine de convocation immédiate chez la police pour un interrogatoire.

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