Chapitre 35 Antoine

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Cher Antoine,

Ma mère m'a dit lors de notre voyage qu'il fallait que j'arrête de vivre dans la peur, et surtout d'assumer la femme que je suis devenue. C'est le but de cette lettre, manifester à quel point je m'inquiète pour vous, Wolf m'a dit ce qu'il vous était arrivé et par qui. Je suis terriblement navrée, navrée de ne pas avoir pensé à cette éventualité. Vous ne méritez pas ça, pas vous, pas après avoir donné autant de votre personne pour votre pays et être humain avec le mien.

Je prie pour vous, tous les jours, pour que vous retrouviez votre force tel le phénix que vous êtes. Je crois en vous, car malgré vos traumatismes, vous ne vous êtes jamais laissé submerger et avez toujours fait preuve d'humanité – un concept que vous avez fait renaître en autrui –, cette bienveillance vous sera rendue. Peut-être que vous n'y croyez plus, mais le Seigneur donne ses plus dures épreuves à ses plus fidèles partisans. Je passerai très vite vous voir, avec des plats cuisinés et vous apporter le soutien toléré qu'une épouse peut apporter à un autre homme. Je regrette que les choses se passent ainsi entre nous, si seulement nous étions de la même nationalité, si seulement nous nous étions connus dans une autre vie. Mais ce n'est pas le moment de s'apitoyer dans des longs discours remplis de regrets, qui ne se produiront jamais. Cependant, je peux vous donner ma parole que plus jamais Rainer n'aura l'occasion de s'en prendre à vous. Que le Seigneur soit avec vous, rétablissez-vous bien je vous prie.

Elvire Klein.

Telle est la lettre que je lis, depuis environ deux semaines. Je ne cesse de lire ces mots, sans y comprendre véritablement ce qu'ils veulent dire. Je soupire, désormais rentré chez moi, je peux agoniser en paix sans être faussement chouchouté par des allemandes qui n'attendaient qu'à débrancher mes sondes. Je me masse les tempes, encore, encore, encore... Incapable de correctement réfléchir, je passe en revue le peu de souvenirs que j'ai avec l'épouse d'un de mes tortionnaires.

Je souris, de je ne sais quelle émotion abjecte. Je la revois, en face de moi il y a 3 ans de ça, en vieille tenue trouée par les mites, les cheveux gris de l'insalubrité d'après-guerre, les yeux ternes, effrayés, distants, son ventre hurlant famine. Je me demande parfois ce que serait ma vie si je ne l'avais pas nourri, si tous les jours, je ne lui avais pas offert plus de rations, si je n'avais pas protégé son frère des Soviétiques, je me demande ce qu'il se serait passé si Klein n'était jamais rentré...

Je veux juste que Rainer Klein crève, pas plus.

Tout serait tellement différent. Parler au conditionnel ne changera rien à la situation actuelle. Elvire est marié à un putain de monstre, et je ne suis que français. Je ne suis qu'un français qui ne pourra jamais réellement s'épanouir à cause de cette fratrie de deux, à qui j'ai ouvert mon cœur, là où j'en ai reçu deux ayant relativement besoin d'amour, de protection et de reconnaissance. Telle est ma sentence pour avoir laissé Jeanne rentrer dans la résistance, être spectateur. Le spectateur de ma propre vie, déchiré entre son devoir de venger mon pays en tuant les Boches, et l'humain que je suis me dictant d'aimer mon prochain, qu'importe leur nationalité, leur religion ou leur couleur de peau.

Je ris, et constate avec ironie l'ignoble cercle vicieux. Chaque femme qui me rejoint pour résister, finit par partir vers le trépas sous mes yeux.

Mes rêveries s'interrompent par de violents coups martelant la pauvre porte de mon appartement. Je connais cette fréquence, c'est Wolfgang.

« Bon, tu t'es décidé à sortir de ton trou à rat ? Me demande-t-il en entrant.

– Wolfgang, as-tu vu l'état de mon visage ? »

Il se rembrunit aussitôt. En plus de l'amaigrissement que j'ai subi, je suis merveilleusement embelli de surfaces hétérogènes violacées assorties d'une cicatrice de dix centimètres de long me barrant la joue. Mon ami me regarde, avec une étincelle dans les yeux que je sais que ce n'est pas de la pitié puisque nous avons tous les deux vécus la même chose. On s'installe sur le sofa, remarquant son excitation quasi enfantine, je lui demande, un sourcil arqué.

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant