Une année et demie s'est écoulée depuis l'arrivée surprise d'Alexandre en Algarve. Un été, un automne, un hiver, un printemps, un nouvel été, puis une légère brise entraîne les premières feuilles mortes colorées, dans une valse mélodieuse, sans cavalier, l'automne à nouveau.
Le sifflement du vent, la pluie de feuillage ocre, rouge ou cuivre enchante. Un chant sans oiseau, celui des éléments, qui enveloppe de nostalgie, par leur susurrement. L'été est fini au grand damne de Tiago. Il faut s'armer de courage pour entrer dans l'océan même en combinaison de surf. A défaut de chaleur, les yeux s'émerveillent. Place à la ronde des végétaux, au chant mélodieux du tintement de la l'eau, et le murmure du vent. La nature est musicienne, une partition unique pour un ballet musical, en contrepoint, les sons se superposent, vers la farandole hivernale.Tiago joue tranquillement avec ses figurines de super héros, assis sur les genoux de son père, lorsqu'il voit arriver Sabine, main dans la main avec Pédro. Elle est radieuse avec ses cheveux virevoltant au gré du vent, et le sourire de son homme trahi leur bonheur. Un anneau doré brille à leur annulaire gauche respectif et le ventre arrondi de Sabine annonce l'arrivée d'un heureux événement dans quelques mois.
— Marraine !
Tiago quitte les bras d'Alexandre pour se précipiter dans ceux de Sabine. Les deux tourtereaux s'accroupissent pour l'accueillir.
— Tu m'as manquée, champion !
Sabine dépose un baiser délicat sur ses cheveux.
— Toi aussi marraine ! répond-il. Et toi aussi, Pédro.
Alexandre considère la scène, attendrit. Le lien qui unit Tiago a sa marraine croît au fil du temps et c'est beau..
— C'était chouette le voyage de noces aux Açores ? questionne le petit garçon.
— Oh oui ! dit Sabine en regardant amoureusement son époux. On a beaucoup de choses à vous raconter !
Le couple se relève et marche en direction d'Alexandre, adossé au camping-car, les bras croisés et la jambe droite repliée contre la fine paroi.
Le regard de Sabine vacille quelques instants, suffisamment pour que le mari de sa meilleure amie le remarque. Cela fait un peu plus d'un mois qu'elle et Pédro sont partis explorer l'archipel portugais des Açores au large de l'océan Atlantique. Revenir à la Falesia l'émeut profondément. Elle aurait juré qu'Alexandre a perçu son malaise, mais elle fait mine de rien en chassant ses pensées parasites.
— Hello, Alexandre ! Je suis heureuse de te revoir ici.
— Venez par là, les amis ! fait Alexandre en les attirant dans ses bras dans une grande accolade. Ton ventre s'est sacrément arrondi en un mois ! Vous êtes radieux.
— Je suis pressé de voir le bébé, marraine ! Alors c'est une fille ou un garçon ?
— On ne sait pas encore, répond Pédro. On va garder la surprise jusqu'à la fin !
Incroyable comme la destinée frappe aux portes sans crier gare. Sabine n'aurait pas imaginé en être là il y a peu.
— J'ai préparé une petite sangria aux fruits rouges, vous n'allez pas vous en remettre, allez installez-vous ! propose Alexandre.
L'art et la manière de recevoir, d'éluder les faiblesses inutiles pour se concentrer sur l'essentiel : l'instant présent. C'est une belle journée d'automne, comme souvent dans la région. Le soleil brille et apporte une douceur appréciable.
— J'ai aidé papa à couper les fruits ! s'écrie gaiement Tiago.
— Bravo, champion ! Tu as de quoi être fier de toi.
— Alors là ! J'ai hâte de goûter ça ! Pédro tend son verre à Alexandre.
Ils s'installent sur la petite table de camping, tandis qu'Alexandre part chercher la carafe conservée religieusement au frais. A l'intérieur, son regard se pose sur la photo de Delfine et Tiago devant l'immense château de sable lors du grand voyage vers le sud, et un autre cliché de tous les trois au bord de la Falesia. Il sourit.
Il ajoute une bonne quantité de glaçons à la sangria, avant de touiller le tout. Deux verres de la version sans alcool sont apposés sur le plateau de service en bois.
— Les deux verres sont pour moi et marraine ! C'est sans alcool, moi j'aime pas l'alcool, proclame Tiago en pointant du doigt.
Les amis trinquent à leurs retrouvailles et l'été qui démarre.
— Papa, tu dis la surprise ? s'impatiente Tiago subitement.
Amusé, Alexandre fait durer le suspens en regardant Sabine et Pédro faire les yeux ronds.
— Arrêtez de nous faire languir ! De quoi s'agit-il ? s'agace gentiment Sabine.
Alexandre farfouille dans la poche de son bermuda et dépose des clés sur la table. Tiago ne tient plus.
— Papa a acheté une maison ici, à Falésia ! C'est une vraie maison, avec piscine ! Et même qu'on va rester vivre ici pour toujours !
Les amis se lèvent et s'embrassent. Ils sont émus, une nouvelle vie les attend ici tous les quatre et bientôt cinq. Une vie paisible à la douceur de vivre.
La petite voix aiguë de Joana, une petite fille de sept ans vivant à l'année dans le camping se fait entendre. Tiago part la rejoindre pour jouer avec elle. Ils ne se quittent plus depuis quelques mois.
— J'ai acheté près de Olhos de Agua, grâce à la vente de notre bien en France, c'est à quelques minutes à pied de la Falésia. La propriété possède une deuxième petite maison en fond de parcelle, type deux pièces, parfait pour Fernand et Maria. Ils arrivent la semaine prochaine, leur présence me soulagera fortement au quotidien.
— Félicitations ! Quelle belle nouvelle. Delfine aurait été si folle de joie...
Sabine ne parvient pas à poursuivre et refoule ses larmes par pudeur. Elle pense aux dernières promesses faites à sa meilleure amie, dont celle de ne jamais pleurer sa mort.
— Je suis sûr qu'elle nous protège de là-haut et qu'elle est fière de nous, souffle Alexandre. La réussite au CP de Tiago, l'arrivée de ses parents ici et maintenant la maison dont nous avons toujours rêvé... Elle est présente, et tout cela arrive grâce à elle.Une longue discussion s'engage autour de leurs projets respectifs de vie dans la région. Le jeune couple partage les photos prises durant leur voyage de noces. Des paysages à couper le souffle, aux camaïeux de verts et bleus des îles portugaises, des dizaines d'anecdotes à raconter, des éclats de rire. La fin d'année scolaire s'est parfaitement bien passée pour Tiago qui a obtenu les félicitations de son enseignante. Il a démarré l'école locale depuis la rentrée dernière et parle couramment le portugais maintenant.
Delfine avait anticipé l'inscription de son fils à l'école, en juillet dernier, sentant dans son corps l'avancée de la maladie. Elle ne s'est jamais plainte et n'en a pas fait mention. En août, son état de santé s'est dégradé en trois semaines à peine, au point d'être hospitalisée car ses fonctions respiratoires ne lui permettaient plus de s'oxygéner correctement. Elle a demandé à ne pas être réanimée mais uniquement de recevoir des antalgiques puissants pour ne pas souffrir.
Comprenant que la situation ne s'améliorait pas, Fernand et Maria et les parents d'Alexandre sont venus à son chevet. Ils l'ont veillé jusqu'au bout. Delfine a plongé dans un coma profond en quelques jours, avant de s'éteindre paisiblement.Elle avait expliqué à son fils que la maladie gagnait le combat et qu'elle rejoindrait le paradis. Tiago a accompagné sa maman dans sa dernière demeure, à la Falesia, avec beaucoup de dignité.
Delfine a vécu heureuse comme elle ne l'avait jamais été lors des deux derniers mois de sa vie. La joie ne la quittait plus depuis qu'Alexandre était revenu. Elle parlait régulièrement de la mort en toute transparence et avec un détachement impressionnant. Elle semblait prête pour sa dernière odyssée.Sabine a promis à son amie de ne plus réfléchir, de croquer la vie à pleine dent, de rire pour elle, de vadrouiller en pensant à elle et de vivre à deux cent pour cent. Elle s'est engagée à accompagner Tiago tout au long de sa vie. C'est en suivant les signaux de son cœur et les conseils de son amie, que Sabine a répondu « oui » à la demande en mariage de Pédro, son bel étalon portugais, au printemps dernier. La cérémonie a eu lieu dans une petite chapelle surplombant l'océan, avec une dizaine de convives. Intimiste et romantique.
Elle se refusait donc de céder à la tristesse. Elle ne pouvait pas être moins digne que son filleul. La mort n'est en réalité qu'un passage. La vie est un monde magique et éphémère, un rempart contre le vide dont Delfine a su profiter jusqu'au bout.
— On est ce que l'on fait, a-t-elle affirmé quelques jours avant sa mort.
C'est la continuité d'une histoire mouvementée traversant les saisons, une histoire d'amour bousculée par le spectre de la maladie. Et elle en a fait le plus beau des derniers voyages, dans cette terre si chère à son cœur, maître de ses rêves aux couleurs ocre, auprès des deux hommes de sa vie.
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Les falaises ocre
Fiksi UmumQue feriez-vous si la maladie faisait irruption dans votre vie ? Delfine a trente ans, elle est infirmière, mariée à Alexandre et l'heureuse maman de Tiago, cinq ans. Elle apprend être atteinte d'un cancer, sa vie prend un tout autre virage. Elle co...