À tous nos étés

Les discussions fâcheuses

Quelques secondes plus tard, Théo revint avec un paquet moutarde.

- Tiens, ouvre-le !

Dina, qui ne s'attendait pas du tout à recevoir quelque chose de sa part, ouvrit avec précaution le paquet. Avec Théo, elle ne savait jamais sur quel pied danser. Il pouvait aussi bien faire preuve d'une immense tendresse que d'une espièglerie mesquine.

- Théo... souffla-t-elle en découvrant son cadeau.

- J'ai pensé que ça pourrait te faire plaisir, comme...

- Il est magnifique, le remercia-t-elle.

Elle enjamba la barrière qui séparait leurs jardins pour le rejoindre, tellement pliée à cause du nombre de fois où les deux voisins l'avaient enjambée qu'elle ne servait presque plus à rien. Dina jeta un coup d'œil à la baie vitrée. Abigaïl était encore dans le salon en train de regarder la télévision. Elle aussi avait dû trouver refuge loin des remous de la chambre de son fils.

- Je sais que tu aimes t'habiller simplement, mais, justement, comme tu t'habilles toujours avec des couleurs unies, je me suis dit qu'un foulard à motifs, ça pouvait rendre tes tenues encore plus jolies.

- Et c'est une merveilleuse idée, merci beaucoup, dit-elle réellement touchée par son geste, en caressant les fleurs jaunes brodées sur le tissu noir.

- Ouf, j'avais peur que ce soit mal placé venant d'un homme d'offrir un foulard.

- D'habitude, les hommes blancs cherchent plutôt à dévoiler les femmes musulmanes, donc je l'accepte volontiers. Tu as plus fait que certains militants antiracistes, avec ce cadeau.

- Ça va m'être compté comme bonne action, tu crois ? demanda-t-il avec un sourire béat.

- À chaque fois que je le porterai, in sha Allah.

- Je le pensais vraiment, ce que je t'ai dit tout à l'heure. Ça te va bien le voile. Avant de te voir avec, j'imaginais que ça allait te donner un air austère, mais, bizarrement, je trouve que ça te rend lumineuse.

- On dit qu'Allah a un voile de Lumière, j'espère en avoir reçu ne serait qu'une fraction de rayons.

- Et, ça va, t'as pas eu de problèmes en cours, avec ça ?

- Non, ça va. Tu sais, à la fac, surtout en première année, personne ne te calcule. Tu n'es qu'une petite fourmi dans une vaste fourmilière.

- Je sais, Dina, tu parles comme si je n'avais jamais mis les pieds à la fac et que j'allais être déscolarisé à vie.

- Ce que tu peux être susceptible, parfois... s'exaspéra-t-elle en levant les yeux au ciel. En vrai, le plus compliqué, c'est de se faire des amis. Je ne suis pas comme toi, je suis incapable de créer un lien avec quelqu'un, à l'autre bout du monde, en un claquement de doigt.

- Et Clémence et Sabrina ? Elles ne sont pas dans ta fac ?

- Si, mais on n'arrive à se voir que pendant les pauses déjeuners, et encore, il faut qu'on mange à la même heure. Dans ma promo, il n'y a pas beaucoup de filles et les mecs sont vraiment, vraiment idiots. Bref, je crois que je ne suis pas près de te remplacer.

- C'est normal, je suis le meilleur, dit-il en bombant le torse.

- Et toi, avec Eva, c'est du sérieux ?

- Bah... On n'est pas vraiment en couple, en fait.

- Vous êtes quoi, alors ?

- Disons qu'on est amis avec avantage.

- Et toi, ça te va ?

- Moi, oui, mais elle...

- Elle attend plus ?