Ad astra per aspera

Chapitre 25 - Lorelei

La dame posa sa plume en soupirant. Elle se tourna vers le jeune homme.

"Celes ?"

Le jeune chercheur était frustré, ces jours-ci. Il rêvait un jour d'admirer l'une des performances de Clymene, mais il était trop tard pour cela désormais. En plus de cela, il ne trouvait pas quoi faire. Alors il s'est rabattu sur la lecture, celle du livre le plus célèbre d'Eleutherius Le Diable Muet. L'histoire d'un trio, une guerrière nommée Helbell, ainsi que Gaius et Anemone d'Asphodel, dans leur quête pour éliminer le démon du nom de Ragna.  Sans doute une déformation du passé, pour le rendre plus glorieux qu'il ne l'est réellement. C'est tout de même étrange d'inclure une femme dont le nom n'est jamais mentionné aux côtés de la reone d'Asphodel et son consort. Cette lecture n'a, évidemment, rien apporté.                                                     Mais à présent, Celes avait une idée bien précise en tête. Et pour cela, il avait besoin de sa supérieure.

"Je vous dérange, Dame Lorelei ?"

"Nullement. Je viens de conclure le rapport de l'incident d'Eleutherius."

Lorelei, la femme à la tête de l'Institut Fortitudo. Experte en toute forme de magie, elle est à l'origine de la création de très nombreux outils, dont par exemple les dispositifs de téléportation. Elle a, entre autres, également créé ou grandement amélioré d'autres objets n'ayant pas de rapport avec la magie : canons, rouages, lunettes, horloges mécaniques, et tant d'autres encore. Une sommité en ce monde.

Elle est, par ailleurs, âgée de plusieurs siècles, ce qui explique ses prouesses et sa sagesse. Lorelei est la dernière de son espèce, c'est bien la seule raison pour laquelle elle est acceptée en Asphodel.

"Soit... Je voulais vous demander quelque chose."

"J'écoute."

"Paraît-il que vous souhaitez vous rendre au premier plateau ? Si vous le permettez, j'aimerais vous accompagner. Ameris Gaze-.. Hm, Ameris d'Asphodel souhaite également se joindre à vous."

"... Soit."

Elle avait hésité quelques instants, mais au final, cela ne semblait pas la déranger. Un sourire a même décoré ses lèvres quelques instants, une vue bien rare, qui pourrait passer pour un rêve.

"Toutefois, vous serez sous mes ordres une fois arrivés. Est-ce clair ? Au moindre faux pas, je vous renverrais au cinquième plateau, de force."

"C'est bien compris, Dame Lorelei !"

Le premier plateau est un lieu morbide. Il s'agit du lieu de résidence de la nouvelle humanité, concrètement, des humanoïdes n'ayant aucun des défauts du corps humain habituel. Leurs origines sont toutefois peu réjouissantes.

Pour rappel, la chose nommée 'Déicide' est le reste de la première Itération, un être ayant obtenu un pouvoir surclassant tous les êtres vivants, un être qui aurait 'manifesté une infime partie de la volonté de La Créatrice'. Ce processus semble priver le malheureux de sa raison, et il devient fou en échange de son incommensurable pouvoir.

Le Déicide est le corps de la première Itération, dont bien des fragments se sont séparés, jusqu'à ce qu'un fragment gourmand, il y a quarante deux ans, s'en sépare et absorbe les restes. Ce fragment, c'est Edelweiss. Mais au final, elle n'est qu'une infime partie du pouvoir d'origine, quand bien même sa puissance reste effrayante. C'est à se demander à quoi ressemblerait le Déicide s'il était entier, ou ce qu'était la première Itération lors de son avènement. 

La nouvelle humanité, elle, sont les héritiers de la troisième Itération. L'histoire de celle-ci est connue dans les grandes lignes uniquement : un esclave appartenant à l'espèce des sirènes, elle-même résidu de la seconde Itération, aurait été béni par la Créatrice, et aurait alors gagné un pouvoir incommensurable, suffisant pour mettre bien des royaumes à genoux. Toutefois, l'esclave aurait cédé face à sa maîtresse, qui s'est héroïquement  emparé de la source de son pouvoir, ne laissant qu'un corps derrière.

Le corps aurait muté par la suite, en une créature abjecte qui s'est alors réfugiée dans les cieux. Une longue chasse de plusieurs décennies s'en est suivie, jusqu'à ce que Régina d'Asphodel, alors très jeune, ne parvienne à l'abattre de sa lance. Le volatile se serait écrasé sur le premier plateau, et de ses entrailles ont vu le jour des êtres humanoïdes.

Ces êtres sont méprisables. Lorsque leurs organes sont détruits, ils se restaurant. Lorsque des membres sont arrachés, ils repoussent. Dépendamment de leur habitat, leurs corps s'adaptent pour survivre. Ils sont simplement immortels, seul le temps peut les abattre.                                  Qu'à cela ne tienne, Régina a fait en sorte de changer leurs existences sans fin en une lente agonie. De quel droit pourraient-ils remplacer la toute puissante humanité ?

Il est par ailleurs bon de parler davantage des sirènes. Ce sont des êtres humanoides, dont la seule caractéristique anormale est sans doute leurs majestueuses ailes. Tous partagent le même pouvoir : une voix capable de soumettre tout être vivant à sa volonté, qu'importe ses caractéristiques. Le seul moyen de se défaire de leur emprise serait de ne pas entendre. Elles sont à l'origine une malédiction lancée par la seconde Itération, une malédiction ayant également changé le comportement de ceux frappés afin d'en faire des dangers. Tout ceux qui s'approcheraient des restes de la seconde Itération seraient frappés de cette malédiction. Pendant les vingt-trois ans ayant suivi, les sirènes ont été chassées, jusqu'à ce que les seules restantes soient des esclaves. Toutefois, une nouvelle Itération s'est manifestée. Les deux précédentes étaient éloignées de plusieurs siècles, mais pas celle-ci. De nos jours, tout ce que l'on sait c'est que cet ancien esclave aurait mis tous ses oppresseurs à genoux, en laissant une partie encore en vie. Après deux longues années à défendre vaillamment ses compagnons esclaves, et à résister à tous les assauts de "l'humanité", celle qui a fait de lui un esclave se serait présentée face à lui. L'on raconte qu'elle l'aurait vaincu, mais il est davantage probable que sa détermination se soit brisée en la voyant à nouveau, amenant à sa fin. Après tout, cette Itération était un enfant. 

Qu'importe. Lorelei, Celes et Ameris venaient d'arriver via téléportation sur le premier plateau, dans ce qui semble être une habitation, ayant des allures de laboratoire.

"Je vous autorise à entrer en contact avec les hérétiques. Toutefois, au moindre comportement anormal, contactez-moi dans les plus bref délais."

Lorelei avait un léger sourire en disant cela. Comme toujours, une masse d'ombre noire amorphe mouvante l'accompagne, toujours collée à elle. Cette masse est capable de prendre n'importe quelle apparence, et n'obéit qu'à la cheffe de l'Institut. Son nom est Hyalis, mais ses origines restent inconnues. La rumeur dit qu'il s'agit d'un monstre domestiqué, ou peut-être d'une forme de vie créée via l'alchimie.

Lorelei était partie vers une autre pièce, sans doute un souterrain. Celes décida alors de rejoindre Ameris, qui attendait face à la sortie.

"Donc ?"

"On peut entrer en contact avec ces 'nouveaux humains'. Et s'ils font quoi que ce soit de louche, il faut prévenir Lorelei. Et... C'est tout."

"Pour l'instant."

"Maintenant, et si tu me disais pourquoi tu tenais absolument à venir, mh..?"

La soldate soupira. Elle n'avait plus à cacher son identité désormais, mais pour d'obscures raisons, elle semblait anormalement désagréable ces jours-ci. Tout naturellement venant d'elle, elle n'était pas décidée à expliquer les raisons de son comportement.

"C'est une mission donnée par Régina-... Ma mère. Elle affirme que Lorelei est morte il y a plusieurs décennies, et qu'elle n'existe que grâce à de la nécromancie. Je dois prouver cela, qu'importe si cela implique de la renvoyer vers l'au-delà."