Comme à mon habitude, le vendredi soir, après la fin de mes cours, je me rendis dans ma librairie préférée. Celle sur la place principale. Je l'ai découverte quelques semaines plus tôt après que Julie y ait décroché son premier job, ce qui semblait déplaire à sa mère qui se retrouvait seule dans son magasin. Je lui avais alors promis de continuer à l'aider à vendre des fleurs quand elle en aurait besoin.
La librairie vendait des livres, mais aussi des cd et vinyles, un petit endroit assez étroit au style rétro. Je l'adorais et passais mes fins d'après-midi à regarder les cd ou à lire des livres que je ne pouvais pas acheter. Habituellement bondée, la libraire était aujourd'hui très silencieuse, ce qui ne me déplut pas.
Je me rendis directement du côté des livres, observa les différents livres dans ma section préférée "fantasy/horreur", mais les livres de Stephen King restant, je les avais déjà tous lu. Je m'assis alors quelques instants sur des fauteuils pour réfléchir. Je pris mon téléphone et mes écouteurs, j'allumai ma playlist puis soudain, une idée me vint. Avec le peu d'argent restant, j'allais m'acheter l'album qui me manquait de The Neighbourhood.
Je descendis à l'étage d'en dessous et fonça vers les vinyles, je fouillai quelques instants puis alors que je commençais à en avoir marre, je le vis, à quelques mètres de moi, le seul et dernier album restant, celui que je voulais. Je m'approchai, mais lorsque je posai ma main sur celui-ci, quelqu'un d'autre fit de même. Je mis ma deuxième main pour être en supériorité numérique puis commençai à le sortir de son rangement. Mais l'individu usa de sa force pour reprendre l'avantage et me l'arracha des mains. Lorsque je me retournai pour lui faire face, je vis Niki.
On se regarda sans rien dire quelques secondes, il était exactement comme dans mes souvenirs, sauf qu'il avait les cheveux secs. Mais mon attention se porta rapidement sur le vinyle qu'il tenait entre ses mains. Il le remarqua et le plaça en l'air pour ne pas que je le lui reprenne. Vicieux, il était trop grand de toute façon.
"C'est petit ça. " Murmurais-je.
"Tu le veux vraiment ?" Demanda-t-il immédiatement.
"Oui vraiment" Dis-je.
Il me le tendit alors. Mais lorsque je le pris avec ma main, il le replaça en haut de sa tête, me rapprochant alors de lui. Un rictus amusé se forma au coin de ses lèvres. Il était particulièrement beau.
Je levai un sourcil et fis un pas en arrière."Désolé." Dit-il en reprenant sa voix habituelle.
Il racla sa gorge en regardant le vinyle, hésitant et légèrement gêné.
Je m'attendais à ce qu'après s'être excusé, il me donne l'album, mais au lieu de cela, il s'éloigna de moi avec l'album en mains, il passa à la caisse et l'acheta. Je n'en croyais pas mes yeux.
Je le suivis dehors, encore choquée de la scène.
"Niki." Dis-je pour qu'il se retourne, ce qu'il ne fit pas. À la place, il mit son casque et commença à marcher.
Je le suivis pendant quelques minutes. Je savais que je ne pourrais rien changer à la situation, mais... qui ne tente rien n'a rien.
"Niki !" Répétais-je plus fort. Il ne répondit pas, mais me montra fièrement son vinyle.
Quelque peu agacée, je le suivis en continuant de l'appeler. Il ne répondit toujours pas, mais après quelques dizaines de minutes. Il arrêta d'avancer et enleva son casque, le gardant autour de son cou. Il se retourna puis regarda le magasin qui se situait entre nous.
"Achète-toi un parapluie la livreuse." Dit-il d'un ton froid, le même ton qu'il utilisait habituellement.
Il me fallut quelques secondes pour comprendre ce qu'il venait de dire. "La livreuse" il m'avait vu attendre que l'averse passe sous l'abri vélo avec les fleurs. Il a fait exprès de ne pas répondre pour que je le suive jusqu'à ce magasin de parapluie, ou peut-être que non. Je réfléchis trop.
Alors que je cogitais dans mes pensées, Niki reprit sa route avec son casque et son vinyle, me laissant face à ce magasin. J'en profitai pour m'acheter un parapluie.
En fin de soirée, je rejoignis Julie chez elle pour passer la nuit ensemble. Je me sentais tellement bien que je pris des routes que je ne connaissais pas pour aller jusqu'à son appartement et profiter du temps. Elle voulait que l'on fasse des cookies ensemble, ce qui était une super idée bien que je n'ai jamais cuisiné de pâtisseries de ma vie. Alors, pendant qu'elle préparait la pâte, je la regardais faire, les pépites de chocolat entre mes mains.
"J'ai vu Niki à ton boulot aujourd'hui." Dis-je de façon aléatoire.
Elle me regarda un peu perdue.
"Qui ça ?"
"Niki, l'ami de basket de.. Tom." Répétais-je.
Elle me regarda assez surprise, elle ne m'avait pas entendue dire le nom de Tom depuis assez longtemps. Elle devait penser que j'allais mieux vis à vis de lui, et c'était le cas.
"Tu crois que tu serais prête à revoir Tom ? Il a un match de basket important demain, j'aimerais y aller, mais sans toi c'est nul." Me demanda-t-elle en formant des boules avec la pâte à cookies.
"Je pense que tant que c'est de loin que je le vois, je peux." Répondis-je, surprise par mon niveau d'excitation à l'idée d'aller à ce match. Je ne savais pas encore pourquoi cela me donnait tant envie.
Julie prit les pépites de chocolat de mes mains et les plaça sur les boules de pâte avant de les mettre au four. Puis elle se retourna vers moi, de la farine plein le visage. J'avais tellement envie de rire. Elle ressemblait à une folle.
"Par contre, je ne me rappelle pas avoir vu le nom Niki sur la liste de l'équipe de Tom." Me dit-elle plus que sérieuse.
Je ne pus retenir mon envie de rire plus longtemps, je me mise à rire sous les yeux surpris de Julie qui ne semblait pas comprendre la nature de mon amusement.
"Mais je suis sérieuse, attends." Dit-elle avant d'aller chercher une feuille.
Il s'agissait d'une photo de l'équipe de basket avec les noms en dessous.
Je me calmai puis approchai, j'essuyai au passage la farine au bout du nez de Julie puis me penchai au-dessus de la photo. Niki était bien dessus. Il était vraiment beau, surtout avec un bandeau dans les cheveux. Par contre, son nom ne figurait pas en dessous. Mais puisque les noms étaient dans l'ordre, il me suffisait de regarder le nom qui correspondait à sa place dans la photo. "Nishimura Riki". Riki ? Tiens, bizarre."Tu ne l'aimerais pas un peu ce "Riki"?" Me demanda-t-elle en souriant de façon moqueuse.
Je soufflai en souriant puis alla ranger le plan de travail. Non. Je ne l'aimais pas, je ne le connais pas.
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