1. cerise

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il fait noir. la nuit est tombée depuis longtemps. chez Moha il fait presque jour. chez Moha, chez moi. à la maison.
je veux rentrer à la maison. je ne veux pas retourner chez moi, je veux être là où je me sens bien, là où j'ai vécu et où je veux vivre. à la maison.
mais je ne peux pas. tu es partout. je te vois, je te sens, je te devine dans chaque recoin de ma vie. une salle de bain, un couloir sombre, un garçon qui pleure, des bruits forts, des seringues.
tu as empoisonné mon existence de la pire des manières : par ton absence. je me réveille en sueur, je cherche ta présence. tu étais là, avant.
avant tout ça.
avant l'Israël, avant la drogue, avant le noisetier, avant les cinq, avant moi.
j'ai tout détruit.
j'aurais préféré ne jamais te rencontrer et vivre dans le malheur, plutôt que d'avoir fait le tien.
chaque fois que le soleil disparaît, je sens ta chaleur derrière mon dos, ta main sur ma joue, ta voix qui murmure "אני כאן, קח את ידי, הכל יהיה בסדר"
comme le dit un ami à moi, "il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous".
nous sommes le rendez-vous des anges déchus qui pourrissent en enfer.
je me sens parfois coupable de moins penser à max et Goran, car je les aimais autant que je t'aime toi, mais d'une manière différente. je les aimais parce que nous nous étions rencontrées, je t'aime parce que nous nous sommes séparés. à cause de moi.
parfois je vois des choses. du sang. beaucoup. sur ton corps, sur le mien. et sur mes mains.
il faut que je me rende à l'évidence, que je sorte de cette torpeur dans laquelle je m'enfonce depuis trois ans.
je t'ai tué.
je t'ai abandonné.
je t'ai laissé pour mort, sans rien faire.
parce que j'étais faible. parce que j'avais peur. parce que c'était impossible.
pour moi c'est impossible. tu es toujours quelque part, je ne sais pas où mais je te sens.
tu es avec moi, comme tous les autres.
Goran.
max.
Moha.
Eliza.
Ahmed.
safir.
Ugo.
et beaucoup d'autres.
j'ai reçu une lettre, il y a peu de temps. une lettre de ******, me proposant de retourner au camp pour un mois en échange du paiement de mes dettes. dans cette lettre il figurait la liste de ceux qui restait. ce qui était encore là pour raconter ce qu'il ont vécu, là bas, en enfer sur la terre.
il n'y a que deux noms. le mien, et celui d'elian.
deux noms.
nous étions plus de 200, seulement sur la côte d'azur.
il ne reste que deux noms, bientôt il n'en restera qu'un, car je sais au fond de moi que elian atteint ses limites.
il ne restera qu'un nom, et il restera.
je vis pour vous, pour honorer votre mémoire, pour pouvoir raconter.
pour dire que j'étais là, que j'ai vu.
j'ai tout vu.
les viols collectifs, la prostitution forcée, les chocs électriques, le fouet, les coups de feu, les chiens, les marches infini dans le désert, la faim, la mort.
et nos cris. nos hurlements qui me réveillent chaque nuit. nos supplications quand nous étions traîné dans la cellule. j'ai tenu, je me suis battu, j'ai hurlé et je hurlerais jusqu'à ce que la terre entière m'entende, jusqu'à ce que vous m'entendiez, où que vous soyez.
je vous le promets.
j'ai peur mais je me bats pour vous, pour nous, pour toi. je me bats comme tu t'es battu face à la mort, quand tu agonisais en m'attendant. tu étais vivant quand je suis arrivée, j'en suis sûre. tu as lâché prise quand tu m'as vu, accueillant la mort en sécurité, dans mes bras couvert de ton sang.
ton sang est couleur cerise.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 31 ⏰

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