26. Petit faon

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Falling – Closed Tears

La retenue. L'art d'opiner du chef et de sourire quand tout ce que tu rêves de faire, c'est d'enfoncer ton poing dans l'orbite du connard qui te sert d'interlocuteur.

Assise sur le carrelage glacé, je laisse mes larmes muettes inonder mes joues. Je ne suis pas sous la douche, mais j'en suis assez prêt. Une minute passe, puis cinq. Le froid s'immisce dans mes os en dépit de mes vêtements. Je suis seule mais, au-delà du bourdonnement de rage dans mes oreilles, j'entends des voix au loin.

À l'évidence, Caleb n'a pas encore enregistré que je tiens un registre des torts que l'on me cause. Ce n'est pas faute de l'avoir averti en face, pourtant. Tout ce qu'il m'inflige, il le recevra fois dix. J'ai toujours été ainsi. Si tu dessines une ligne sur mon cahier, je t'arracherai la page. Si tu me rentres dedans, je te renverserai pendant que tu portes ton plateau-repas. Si tu m'insultes, je t'ignorerai jusqu'à ce que tu doutes de ta propre existence.

Quand je déchaîne l'enfer, même le diable se planque.

Les jambes désormais plus solides, je me relève, m'appuie contre l'évier et me toise dans le miroir. Je suis toujours vêtue de mon t-shirt des Guns and Roses. Mes cheveux sont fous autour de mon visage, et je tente de les dompter avec des mains tremblantes. Enfin, j'essuie les larmes dans mes yeux et durcis mon regard.

Séduire et détruire, chantonne la petite voix dans ma tête.

J'acquiesce pour moi-même. Un jour, je le ferai. Je le détruirai. Parce que ce qui ne me tue pas finit généralement par le regretter.

Je tourne les talons et sors de la salle de bain. Plantée au milieu du couloir, je risque un coup d'œil en direction du salon. Au-delà des voix à la télé, le calme règne dans le loft. Caleb est assis tout seul sur le canapé, une clope au bec, et... je rêve ! Il est devant le dernier épisode de Love Island !

Ce sale enfoiré.

Je m'imagine l'étrangler avec les lacets de mes Docs Martens, mais ça devra attendre. Son attaque m'a donné la nausée, alors je traîne des pieds jusqu'à ma chambre et m'effondre sur le matelas. Là, je me roule en boule et clos les paupières, laissant le vide s'emparer de mon esprit. Le sommeil m'emporte sans que je le voie venir, profond et tourmenté.

Ce sont des cris qui me réveillent en sursaut.

La main plaquée contre mon cœur qui bat à tout rompre, je tends l'oreille pour déterminer si je dois courir, me cacher, ou trouver une arme pour me défendre. Toutefois, mes épaules s'affaissent lorsque je reconnais les voix endiablées de Caleb et Isaac dans le salon.

Ils se disputent au sujet de Daisy.

Toutes les souffrances du chasseur gravitent autour de cette fille et de cet amour que Rob a détruit. Je ressens sa douleur comme la mienne. Vraiment. Moi la première, je sais à quel point mon frère peut être cruel. J'envie le bonheur des gens qui n'ont pas eu le plaisir de le rencontrer. Cela étant, Caleb n'a pas le droit de me punir pour les liens de sang que je partage avec mon aîné, et...

Mes yeux s'écarquillent lorsqu'un coup de feu retentit, suivi par l'éclat de colère de Steven. Ils ne sont tout de même pas en train de s'entretuer ? Mes muscles se crispent dans l'attente d'une seconde détonation. Elle ne vient jamais. Soulagée, je tombe en arrière sur mon oreiller et laisse leur dispute me bercer.

Pendant cinq minutes, je suis transportée dans le passé quand, du vivant de mon père, il s'engueulait soir après soir avec Rob. Du haut de mes six ans, j'écoutais leurs joutes verbales assise dans le noir, contre la porte de ma chambre. Papa lui reprochait de rentrer tard, de ternir notre famille avec ses actes de délinquances de plus en plus répétés. Mais je me souviens surtout de leur dernière querelle avant que Papa ne meure, celle qui me concernait.

Ravagés (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant