Eldoria

5.

Murmures et Déterminations

Le château se réveillait lentement ce matin-là, mais une agitation inhabituelle flottait dans l'air. J'avais pris l'habitude de me promener dans les longs couloirs après le petit-déjeuner, une habitude qui me permettait de découvrir peu à peu les secrets de cet immense labyrinthe de pierre. Aujourd'hui, cependant, ce n'était pas le silence habituel qui m'accueillit, mais des murmures, des chuchotements pressés entre les domestiques, qui s'interrompaient à mon passage, mais pas assez rapidement pour m'empêcher d'en saisir des bribes.

- ... la reine... disparue si soudainement...

- Ils disent que personne ne sait vraiment ce qui s'est passé...

Leurs voix se taisaient aussitôt qu'elles me voyaient approcher, et les domestiques s'écartaient avec une révérence exagérée, cherchant à éviter mon regard. Cela ne faisait que piquer davantage ma curiosité. De quelle reine parlaient-elles ? L'idée me vint immédiatement : s'agissait-il de la reine avant moi ? Celle dont Hadrien avait vaguement mentionné l'existence ? La question me brûlait les lèvres, mais je savais que m'adresser directement aux servantes ne mènerait à rien. Leur loyauté au château était indéfectible, et elles ne trahiraient aucun secret à une étrangère, même si cette étrangère portait désormais le titre de reine.

Je continuai ma marche, les yeux et les oreilles en alerte, chaque détail devenant une pièce potentielle d'un puzzle que je ne faisais que commencer à assembler. Les murmures, l'attitude des domestiques, tout me confirmait que l'ombre de l'ancienne reine planait encore sur ces murs, cachée dans les coins sombres où la lumière du jour n'osait pas s'aventurer.

Plus tard dans la journée, je fus convoquée par le roi Gautier. Cette fois, c'était dans une salle austère, meublée uniquement d'une grande table de bois sombre et de quelques chaises massives. Gautier se tenait à l'une des fenêtres, observant l'extérieur d'un air pensif. À mon entrée, il ne se retourna pas immédiatement, et je pris ce moment pour l'observer discrètement. Sa silhouette, raide et imposante, dégageait une froideur qui me glaçait toujours autant, même après nos quelques semaines de mariage.

- Vous m'avez fait appeler ? demandai-je finalement, brisant le silence.

Il se tourna lentement vers moi, ses yeux sombres me scrutant avec une intensité qui me fit frémir. Il acquiesça d'un geste bref avant de se diriger vers la table où un parchemin était déroulé.

- Oui, répondit-il d'une voix posée. Nous devons discuter de vos devoirs en tant que reine.

Je m'approchai de la table, laissant mon regard se poser sur les documents devant nous. Ils détaillaient des affaires du royaume, des alliances à consolider, des fêtes à organiser, des visites diplomatiques à préparer. Je relevai les yeux vers lui, prenant soin de garder mon expression neutre.

- Je comprends, dis-je calmement. Je m'attellerai à ces tâches avec la diligence qui sied à mon rôle.

Il haussa légèrement un sourcil, comme surpris par mon ton assuré.

- Vous avez été préparée à ce genre de responsabilités ? demanda-t-il, une lueur d'interrogation dans son regard.

- J'ai appris à m'adapter, répondis-je, soutenant son regard. Ce n'est pas une tâche facile, mais je n'ai pas l'intention de faillir à mon devoir.

Un silence tendu s'installa entre nous, mais cette fois, ce n'était pas un silence de soumission. Je voulais qu'il comprenne que, malgré tout, je ne me laisserais pas écraser par la pression ou par son autorité glaciale. Il finit par hocher la tête, comme s'il approuvait malgré lui cette démonstration de force tranquille.

- Très bien, dit-il en détournant les yeux. Assurez-vous que tout soit fait correctement. Nous ne pouvons nous permettre d'autres faiblesses.

Il sortit de la pièce sans ajouter un mot, me laissant seule avec les parchemins. Cette rencontre, bien que brève, avait confirmé une chose : je devais être forte, non seulement pour moi-même, mais aussi pour ce royaume qui avait besoin d'une reine capable de tenir tête au roi.

Alors que la journée touchait à sa fin, je me retrouvai à nouveau dans les couloirs du château. Cette fois, je me dirigeai vers une petite cour intérieure, un lieu où les domestiques se réunissaient souvent après leur travail. En passant près de la porte entrouverte, je perçus à nouveau des chuchotements. Curieuse, je ralentis le pas.

- ... elle est encore là, si on en croit les rumeurs... chuchotait l'une d'entre elles.

- Chut ! Pas si fort... Tu veux qu'on nous entende ? répondit une autre voix, plus inquiète.

- Mais c'est vrai, non ? La dernière reine... disparue sans un mot, et maintenant...

Je n'en entendis pas plus, car à ce moment-là, une domestique me vit et se hâta de refermer la porte. Mais c'était suffisant. Les pièces du puzzle commençaient à s'emboîter. Il y avait eu une reine avant moi, et quelque chose de sombre entourait sa disparition. Mais quoi ? Et pourquoi personne n'osait en parler ouvertement ?

De retour dans mes appartements, je ne pouvais pas chasser ces pensées de mon esprit. Les murmures, les regards fuyants, les avertissements à demi-mot... Tout cela me poussait à agir. Je ne pouvais pas rester passive, à attendre que les réponses viennent à moi. J'avais besoin de comprendre ce qui se passait dans ce château, et pour cela, il me fallait trouver des personnes prêtes à parler.

C'est ainsi qu'une idée germa en moi. Le thé. Une réunion informelle, où les dames de la cour pourraient se détendre et, peut-être, se laisser aller à quelques confidences. Je savais qu'avec un peu de patience et de diplomatie, je pourrais obtenir des informations précieuses. Et si cela devait commencer par de simples commérages entre femmes, alors soit.

Je passai le reste de la soirée à planifier cette rencontre, réfléchissant à chaque détail, chaque invité. Demain, je commencerais à organiser ce thé, et je veillerais à ce que toutes les dames influentes du royaume y soient présentes. Si des secrets devaient être dévoilés, ce serait là, autour de cette table, que je commencerais à les déterrer.