Chapitre 5 : Oups.

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(eeeeeeet... c'est ici que les emmerdes commencent pour Valère la Galère.)

 Un break de guitare en plein milieu de la partie électro.
Je balance ma tête d'avant en arrière dans la fosse, bouge avec des mouvements erratiques tout en prenant garde à ne pas renverser mon gobelet de bières. Et à ne pas me retrouver en plein milieu du pogo. Pas que ça me dérange, mais la dernière fois, j'ai pas vraiment fait attention, et j'ai envoyé un pauvre garçon les quatre fers en l'air d'un coup d'épaule un peu trop enthousiaste.
Je me suis profusément excusé en lui offrant à boire et puis je me suis tiré vite fait avant qu'il ne se fasse des idées.
Je coince mon verre de plastique entre mes dents pour gigoter plus confortablement. Je commence à avoir la dalle. Ça fait presque une semaine que j'ai pas bouffé, et je suis instinctivement plus brutal quand j'ai une dent creuse. Sans compter ces rêves récurrents... Qui m'empêchent de dormir et me laissent constamment en larmes... Pour lesquels je n'ai pas de réponses.
En vrai, je suis fatigué.

À vrai dire, je commence à me demander si, pour une fois, le tuyau de Lula n'était pas complètement à chier.
C'est rare qu'elle se viande dans les grandes largeurs... Mais là... Faut bien admettre...
C'est le cinquième concert que je me farcis. Et bien que celui-ci soit clairement au-dessus du lot, un de mes groupes locaux préférés d'ailleurs, j'avoue que la traque ne prend habituellement pas si longtemps. Mon estomac a l'intention de se faire sentir. Avec cette sale impression de se fragiliser de l'intérieur que je déteste.
J'ai pas envie de recourir à un de mes plans de secours, en plus... C'est chiant...

Je subtilise le verre d'une autre personne sur la piste, à même sa main. Lui envoyant une si légère décharge de phéromone d'un geste... Qui suffit à tout lui faire oublier l'espace d'un battement de cœur.
Cela me suffit, je suis déjà loin, emportée par le public, et me fendant la gueule tout seul.
C'est trop facile. La vie est trop facile.
Bon, sauf quand les chasses ne donnent rien, évidemment.

Mais ce soir la musique est bonne, le groupe est aussi déchaîné que la foule, et me fait oublier ma faim.
Je vais pas râler, et je n'en suis pas au point de supplier pour bouffer. Ces derniers jours ont tout de même été bien agréables.
J'ai traîné de concerts en concerts, j'ai bu comme un trou branché direct au cul de la terre, je me suis envoyé en l'air deux ou trois fois avec des fêtards de passage. Dans les chiottes, et dans les vestiaires, mais eh, ça compte. L'avantage d'être une saloperie de vamps, c'est qu'on a pas de maladies et qu'on ne peut pas en choper. Un ticket gratuit pour toutes les débauches de la terre. Prédateurs alphas, ouaih tu parles. Profiteurs alphas, surtout.

Mais... Malgré cette bonne tranche de déconne, je suis pas venu ici pour épiler des kiwis. S'il y a un agresseur pathologique dans le quartier, il va se retrouver vite lyophilisé par mes soins. Et j'ai eu beau chercher partout, traîner près des sorties, suivre les clients d'ici, faire de mon mieux, tendre tous mes sens et mon odorat... Que dalle. Peau d'zob. Nul.
C'est mon dernier soir. Après je me casse éclater un pédo de night club et dormir deux jours d'affilée.
En espérant que ces saloperies de cauchemars de mec sans visage me laissent enfin tranquille.
Je devrais peut-être aller consulter. Psy pour vampires... ça existe?

C'est un parfum dans l'air qui m'alerte.
Je connais cette odeur de sang caillé, de terre fraîche, et de snobisme parfumé.
Mes saloperies de chers confrères... Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils foutent ici? C'est pas leur zone, pas leur quartier. D'habitude, ils restent planqués à faire le ménage près de leurs luxueuses demeures ou de leurs antres obscures tapissés de leurs trophées...

Je me retourne, mes yeux de Nocturne scannant dans l'obscurité de la salle, tout en veillant à rester bien dans l'anonymat de la salle.
Oh merde. Et c'est pas n'importe qui.
Une des reines des ampoulés en personne.
La chef des Crows. Et... Fait chier. Une bonne quinzaine de ses mignons.
Il faut que je me casse. Vite.

Je fend la foule, me faufilant parmi les fans surexcités du groupe sur scène. Étouffant mes phéromones au maximum.
Je ne sais pas pourquoi ces gens si précieux, si importants, sont là, sur mon terrain. Et je ne tiens pas à le savoir.
Mais heureusement pour ma gueule de tocard, Bones a déjà pris en cachette des photos des membres du Tribunal Nocturne (dont il fait partie en tant que chef de meute) et me les a transmises, au cas où je me retrouve nez à nez avec un de mes chers confrères.
Ils ont tous des signes distinctifs de toute façon. Les crows ne se déplacent jamais sans leur grand manteau de cuir noir et leur maquillage blanc platré. On dirait un mauvais film d'il y a vingt ans, ça craint.

Je me dirige vers la patronne de la salle qui regarde les concerts derrière les barrières, près des coulisses.
"Hey! Eve!" Je lui fais un geste de la main. Elle vient me voir, intriguée.
"Un souci, Vally?"

J'adore Eve. Même si j'évite d'être trop amis avec les humains à part Lula, elle, elle a quand même gagné mon affection. Grande blonde solide, habillée comme une roadie, des bras comme mes cuisses. Et je suis certain qu'elle a deviné ce que je suis, en plus. Mais elle a l'intelligence de garder ça pour elle.
"Ouaih... Je peux... Filer par les coulisses? S'il te plaît? Je casse rien, je me barre juste. Vite."
"À quel point t'es dans la merde pour me demander ça...?"
Elle plisse les yeux. Je joins les mains, de l'air de la plus parfaite innocence.
"S'il te plaît? Il y a des gens que je veux pas voir."
Je ne vais pas utiliser mes phéromones sur elle à moins d'y être obligé. J'ai des principes.

"Allez," décide-t-elle, me faisant un signe vers les rideaux qui bordent la scène. "Passe derrière les techos. Tu connais la sortie."
"Merci, t'es un ange." Je passe par-dessus les barrières, abandonnant mon verre à une des personnes dans la foule, et dépose un baiser sur sa joue.
"Tu parles..."

Elle me pousse presque derrière les rideaux, et je m'y faufile, sans un regard pour les autres ingés et roadies qui occupent l'endroit, et qui me jettent à peine un regard blasé, trop plongés dans leur travail pour s'occuper du minable petit squatteur que je suis.
Je connais effectivement la sortie. J'ai rendu des services plus une fois qu'à mon tour en portant des caisses de matos, ici. Et puis, on m'a déjà fait visiter les coulisses en long et en large. Les musiciens qui font monter des fans à l'arrière après des prestations ne sont pas que des légendes...
Tu parles d'une fierté.

Cela dit, alors que je progresse dans les couloirs, je suis préoccupé.
Les Crows sont le plus puissant des quatres clans de vampires du Tribunal Nocturne. Comme c'est la capitale, leur chef contrôle tous ses clans satellites des autres villes mineures.
Autant dire que me retrouver face à eux me fait pas marrer.
J'ai déjà eu à faire à des vampires qui ont essayé de me buter par le passé. Juste après que je sorte de l'œuf. Tout juste émoulu grand méchant vampire.
Je les ai éliminés. Je ne sais pas comment. Mes souvenirs de cette période sont flous, je n'étais qu'une bête sauvage à l'époque. Terrifiée, violente... Mais toujours est-il que je les ai butés. Probablement comme un boucher digne d'un slasher premier prix.

C'était avant de savoir qu'il y a des lois parmi les Nocturnes. Qu'on est pas censé se tuer entre nous. Pas entre prédateurs, et encore moins entres membres de la même espèce.
C'est pour ça que j'ai changé de ville, plusieurs fois. J'avais peur qu'ils me traquent, qu'ils cherchent à continuer le travail, où à me punir de mes meurtres. Mais non... Je suis tranquille depuis près de quinze ans, je me tiens loin de mes "semblables"...
Alors les voir débarquer en nombre, pile ici, alors que j'ai relevé aucun meurtre dans les environs...
Soit ils viennent pour moi... Soit la situation est sérieuse, et Lula avait raison...
En plus, les vamps sont tous sensibles à mes phéromones. Je ne les ai que peu utilisés ce soir, mais ça va suffire pour qu'ils me repèrent vite.
Autant se barrer fissa.

En progressant dans les coulisses, j'envoie un message à Lula.
"Crows au Méphisto. La chef et une quinzaine de ses goonies. Ça pue la merde. Je me rentre."
Mais ça ne suffira pas. Il faut que je me planque quelques minutes.
Si les Crows sont là, il y a fort à parier qu'ils ont mis des observateurs tout autour de la salle. Avant de me barrer, je dois vérifier ça.

Sans vraiment réfléchir, je rentre dans la première loge que je trouve. Elles ont des fenêtres qui donnent sur la cour arrière de la salle. Et la zone de déchargement des camions de matériel.
Je me précipite vers une de ces fenêtres, et l'ouvre discrètement.
Heureusement, il y a des épais barreaux sur son montant, et le panneau s'ouvre vers l'intérieur. Personne ne me verra.

Je hume la nuit.
Faisant le vide de mon esprit. Tentant de sentir... Une rumeur dans l'air. Un indice de la présence de mes petits collègues sanglants.
Mais... Non... Rien... Ah! Quoi que...
C'est ténu. Très ténu.
Un fond de cette odeur de sang caillé, et un brin de... Une fleur. Une de celles qu'on retrouve dans les eaux de cologne. Mais je ne saurais pas dire laquelle. J'ai pas vraiment une vocation de jardinier.
Et l'odeur se dissipe rapidement. Cela pourrait tout aussi bien être les résidus de la présence des Crows d'avant, pas forcément un chasseur embusqué.

Rassuré, je referme la fenêtre.
Au moment où la porte s'ouvre. La puanteur musquée de sueur et d'humain m'assaille avant même qu'ils n'ouvrent la bouche.
"Oh bah, on ne nous avait pas dit qu'on serait attendus en sortant de scène. T'es qui toi? Un roadie perdu?"

Les membres du groupe!
Je me suis infiltré dans leur loge... Tu parles d'une veine...
Si j'en juge à leurs vêtements dégoulinant de sueur, les baguettes encore dans la main du batteur, ils sont juste venus boire un verre de flotte et changer de T-shirt en attendant le rappel...
Sans même réfléchir, je leur lance une grosse effluve de phéromones. Qui les atteint en pleine face si j'en crois la façon dont leurs yeux papillonnent et leur attitude à mon égard qui change instantanément. Passant de la surprise à l'intérêt, puis à... autre chose.

"T'en fais pas..." me dit le chanteur, s'approchant de moi avec un regard lourd d'envie, "on ne va pas te chasser si tu veux rester..."
"Comment tu t'appelles?" me demande un autre des musiciens. "Tu sais que n'importe qui ne peut pas entrer ici d'habitude..."
Oh, je sais bien chéri, mais...

À bien y réfléchir, est-ce que c'est le pire des plans?
Je reste ici quelques minutes, je passe un bon moment jusqu'à ce qu'ils doivent revenir sur scène, et après je pars loin des Crows... À moins que mes camarades de jeu ne puissent sentir mes phéromones d'ici?
Quoi que... Par dessus la foule des humains?
Je ne sais pas...

À tout prendre, je m'appuie lascivement sur une des tables de maquillage derrière moi, leur faisant un clin d'œil.
"Je ne travaille pas pour la salle," leur dis-je, "mais je me suis peut-être un peu perdu... Je peux rester avec vous le temps du rappel?"
Ils se lancent un regard. Et le chanteur fait de nouveau un pas dans ma direction. Oh waow, je peux sentir son envie, excitée par l'adrénaline de la scène, m'envelopper complètement. C'est grisant.
"Pas de soucis... Tu as besoin de quelque chose?"

Ce sont des gentlemen, j'avoue. D'autres n'auraient pas fait autant de manières avant de se jeter sur moi. L'habitude des admirateurs, sans doute. Les marques que je vois sur leurs bras ne sont pas activées en plus... Mais à la manière dont le musicien soulève mon menton, je sais qu'il se retient. J'ai envie de sourire.
Ma foi, il y a pire que de se retrouver dans ce genre de situation. Avec eux, ne je risque pas grand chose. Ce ne sont que des humains...
Je penche la tête vers lui, ouvre la bouche...

L'odeur métallique du sang se dépose sur ma langue. Emplit mes narines.
Immédiatement tous mes sens sont en alerte.
Cela ne vient pas de l'intérieur. Mais de l'extérieur. Empestant par la fenêtre que j'ai pourtant fermé.
Est-ce que c'est mon tueur? Celui que je recherchais?

Sans même réfléchir, je repousse le chanteur, qui ne comprend pas mon revirement d'attitude, et dépasse les autres, m'enfuyant par la porte malgré leur suppliques.
Il faut que je sache.
Si c'est mon tueur, je ne peux pas laisser les Crows l'avoir. C'est mon territoire. Et je refuse de permettre à un agresseur en série de s'échapper.

Je franchis encore un couloir, celui qui mène dehors, à toute vitesse.
L'odeur du sang est plus forte. Bon sang, si forte. Ma faim est décuplée, je peux sentir mes veines vibrer sous l'appel de la nourriture promise. J'ai vraiment trop tardé à me nourrir.
Ce qui me rend sans doute parfaitement débile. Me pousse à l'erreur, moi d'habitude si prudent.

C'est pour ça que quand je franchis la lourde porte au bout du couloir, et que je la laisse se refermer lourdement derrière moi, je ne réagit pas.
Sonné par le charnier qui s'étale à mes pieds.

Ce ne sont pas des humains. Pas seulement.
Mais aussi des vampires. Tellement de vampires... Éventrés, écartelés... Les membres séparés de leurs corps en une bouillie répugnante, sur cet espèce de parking, de zone de déchargement qui prend des allures d'abattoir médiéval...
Je me colle à la porte, essaie de l'ouvrir, mais rien à faire. Blindée. Elle ne s'ouvre que de l'intérieur, ou avec une commande dont je n'ai pas le code, et je suis trop fatigué pour l'enfoncer.
Les yeux rivés sur le combat devant mes yeux.

Parce que l'assassin est toujours là.
Une épée effilée à la main, habillé tout de blanc, avec sa grande campe qui suit ses mouvements, un masque dissimulant son visage, il se bat avec un individu tout de noir vêtu qui lui fait face avec ses seules mains griffues. Certainement un Crow, rescapé du carnage, lui tenant bravement tête.
Lula avait raison. Bon sang, Lula avait raison. Il y avait bien un agresseur, un meurtrier, et les Crows en avaient après lui.
Et je n'ai rien à faire ici.

Le bruit que je fais en essayant encore une fois d'ouvrir la porte résonne sombrement dans ce parking désert.
Simultanément, l'assaillant et sa victime s'arrêtent en plein mouvement. Tournent la tête vers moi.
Je déglutis.
Oups....




(Il est làààààà.... ça commence à puer du derche pour Valère ^^ )

MOTHIKA - Âmes-Soeurs Nocturnes (BoyxBoy)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant