Ravagés (Sous contrat d'édition)

30. Petit faon

Pussy Liquor – Rob Zombie

Pétasse. Une femme avec la morale d'un homme.

Vous savez, on m'a traitée de pétasse tellement de fois que ça sonne comme un deuxième prénom à mes oreilles. Je suis bien placée pour dire qu'avec le temps, l'insulte finit par perdre toute sa signification. C'est comme quand vous répétez le même mot à voix haute, encore et encore.

Très vite, il ne s'apparente plus à un vrai mot.

Alors peut-être bien que je suis une pute parce que je suis provocatrice et relâchée, mais c'est toujours mieux que d'être un homme. Ces derniers dissimulent leurs vices sous un masque de faux-semblants, souvent pas très épais. Ils sont prévisibles dans leur cruauté. Ils manipulent et ils blessent. Ils usent et ils abusent. Ils détruisent tout ce qu'ils touchent. Ils anéantissent les cœurs et brisent les esprits.

Quelle honte pour l'humanité.

Et pourtant... alors que je fuis loin du chasseur et de ses ombres, je n'ai pas peur. Pour être honnête, je me sens électrifiée. C'est comme quand je jouais à trappe-trappe en maternelle. Je courais pour esquiver les garçons qui essayaient de m'attraper. L'adrénaline vibrait dans mes veines, mais je riais à travers elle parce qu'au fond je savais.

À la fin de la récréation, tout irait bien.

Déjà hors d'haleine, je me fraie un chemin dans l'allée centrale de la fête foraine, bousculant tous ceux qui m'entravent la route. Mes Doc Martens frappent le sol dans un rythme effréné, éclaboussant les gens de boue à chacun de mes pas. Une fine pluie commence à déferler sur le Circus et chatouille mes narines d'une odeur de terre mouillée.

Sans jamais me retourner, je rabats ma capuche sur ma tête pour dissimuler ma chevelure et me fondre dans la masse, mais ce n'est pas assez. Comment ça pourrait l'être ?

Je suis seule contre quatre.

Guidée par l'urgence, je bifurque à droite et me cache entre deux stands de drogue. Là, je m'adosse contre la paroi en bois et prends appui sur mes genoux pour reprendre mon souffle. Je sens mon cœur battre contre mes lèvres. C'est pas du yoga que j'aurais dû faire, mais du cardio.

Je commence tout juste à respirer normalement lorsque la musique se coupe. Pendant une seconde, elle est remplacée par un grésillement désagréable, puis une voix familière résonne dans chaque recoin de la foire :

— On joue à cache-cache, petit faon ? T'as pas encore compris que c'est mon jeu favori ?

Eh merde. Un frisson me parcourt l'échine et m'arrache un sourire. Je mentirais si je disais que je ne m'amuse pas.

— La traque m'excite, mais entre nous, la partie commencera vraiment quand je t'aurai retrouvée.

La pluie gagne en intensité. Certains fêtards s'éloignent en courant à la recherche d'un abri, tandis que d'autres dansent pour accueillir l'averse en chantant à tue-tête. Mais le reste... le reste scrute l'espace autour d'eux pour tenter de déchiffrer les paroles du chasseur.

Je ne peux pas m'attarder ici.

Je retourne dans l'allée principale dans l'idée de me faufiler jusqu'au tunnel de l'amour pour m'y cacher. À mi-chemin, mon stalker continue de me provoquer à travers les haut-parleurs :

— C'est comme une danse, tu ne trouves pas ? Tu bouges, je bouge...

À cela, je me fige au milieu de la foule agitée.

— ...tu t'arrêtes, je m'arrête.

Je crois l'entendre ricaner, mais avec le ruissellement de la pluie, je n'en suis pas certaine. Soit il suit mes mouvements à l'aide de caméras (c'est bien son genre), soit il a des complices qui lui rapportent mes faits et gestes.