Chapitre 8 : Rose

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Harry, 2023

Je suis assis dans mon bureau, les mains jointes devant moi, le tic-tac régulier de l'horloge est le seul bruit qui trouble le silence. Mon regard se pose sur le dossier ouvert devant moi, celui d'une nouvelle patiente que je m'apprête à recevoir. Roseanne Ashford. Un nom à consonance britannique, empreint de douceur. Elle a tout juste vingt ans et je note avec un léger sourire que son anniversaire est le 2 avril, un jour après le mien. Une curieuse coïncidence qui me fait m'attarder un instant de plus sur son dossier.

Je parcours les lignes qui résument sa vie en quelques mots cliniques : en deuil, père décédé, anxiété, dépression, difficultés familiales. Une jeune femme au seuil de l'âge adulte, mais déjà confrontée à des épreuves qui auraient pu briser quelqu'un de bien plus âgé.

Soudain, la sonnette de mon appartement retentit. La voilà.

— Entrez, dis-je, modulant ma voix pour qu'elle soit aussi douce et réconfortante que possible.

La porte s'ouvre lentement, et c'est comme si le temps s'arrêtait. Je n'arrive plus à cligner des yeux et je n'ai pas envie de le faire. Ces cheveux sombre et ce regard triste. C'est elle. Là, dans l'embrasure de la porte, se tient la pianiste. Cette femme dont la musique a enchanté mon anniversaire, dont la beauté singulière a fait naître en moi des émotions encore inconnues. Je me souviens de sa présence, de la manière dont elle semblait presque fusionner avec son instrument, créant une musique si émotive que j'avais ressenti quelque chose se briser en moi. Mais cette fois-ci, elle semble différente. Son visage est marqué par une légère crispation, comme si elle se préparait à une bataille. Elle a l'air beaucoup plus jeune sans son maquillage et elle a troqué sa jolie robe en soie pour une chemise à carreaux et un jean trop grand pour elle, recouvrant presque entièrement ses Converses noires.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Mais je me ressaisis, ramenant mon esprit à l'instant présent. Il est impératif que je reste professionnel alors je m'efforce de ne pas laisser transparaître mon étonnement et fais comme si c'était la première fois que mes yeux se posaient sur elle. C'est terriblement difficile car ses notes fabuleuses résonnent encore dans ma mémoire.

— Bonjour, dit-elle, d'une voix calme et mélodieuse. Pourtant, il y a une lueur de défiance dans ses yeux, une barrière invisible qu'elle a dressée autour d'elle.

— Bonjour, Roseanne, réponds-je avec un léger sourire, me levant pour l'accueillir.

— Juste Rose, rétorque-t-elle un peu trop sèchement à mon goût.

J'acquiesce poliment d'un signe de tête et poursuis :

— Je vous en prie, asseyez-vous, Rose. Je m'efforce de garder un ton jovial, malgré le léger agacement intérieur que je ressens devant sa réticence.

Elle entre dans la pièce avec une certaine désinvolture, ses pas légers mais chargés d'une tension que je peux presque sentir dans l'air et s'assoit avec une sorte de nonchalance étudiée. Mais je remarque la manière dont ses doigts jouent nerveusement avec l'ourlet de sa manche, trahissant une anxiété qu'elle essaie de cacher.

— Rose Ashford, c'est cela ? je commence, brisant le silence.

Elle acquiesce d'un signe de tête, son regard perçant le mien avec une intensité surprenante. Je sens qu'elle m'évalue, qu'elle pèse chaque mot que je prononce, chaque geste que je fais. Il y a en elle une rancœur évidente, une méfiance envers ma profession que je peux lire dans ses yeux avant même qu'elle n'ouvre la bouche.

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