Chapitre I : Le jour de l'Oumm- Bala

104 8 6
                                    


        Le jour de l'Oumm était la fête préférée de Bala, comme pour beaucoup d'enfants d'Hassadie. C'était pour eux l'occasion de recevoir des présents et de manger des sucreries à outrance, sans crainte de se faire réprimander par les plus âgés. Ils pouvaient veiller, exceptionnellement, jusque tard dans la nuit pour admirer les festivités nocturnes données en l'honneur de l'Oumm. Pendant quatre jours, le royaume était en fête et le dernier jour était le plus important. Le plus mémorable.

        L'an passé, conformément à la tradition, Bala, qui venait d'avoir sept ans, s'était vêtue pour la première fois de ses habits royaux. Désormais âgée de huit ans, elle allait recevoir sa première arme à la fin du quatrième jour. Elle espérait de tout cœur recevoir la même arme que Yasmine, sa sœur aînée, une dague au manche en or sertie d'une citrine aussi brillante que les étoiles. Elle se contenterait même d'une pierre plus banale, pourvue que celle-ci soit jolie. Elle se prenait à rêver à une dague forgée par le souffle d'un dragon de Luoth, au manche taillé dans l'ivoire le plus pur et à la pierre, plus éclatante que le soleil. Une arme qu'elle pourrait fièrement accrocher à sa taille, montrant son appartenance à la maison Al-Jawad. Une lame sans pareille, conçue par le meilleur forgeron, pour elle. Rien que pour elle.

-Ne sois pas vaniteuse, lui avait dit son père quand elle lui avait décrit l'arme idéale, les armes ne sont pas des bijoux. C'est un honneur de recevoir une lame, tu devras la traiter avec respect, peu importe sa simplicité.

      Bala s'était contenté d'acquiescer sans même écouter. Son père pouvait faire tous les discours du monde, sur la modestie et l'honneur, elle savait l'histoire de sa dague à lui. Il s'était lui-même rendu dans les mines du royaume, dans la région d'Asyr pour y extraire les trois diamants pourpres qui ornaient le manche. Puis, il avait voyagé jusqu'à l'extrême nord du pays, au pied des montagnes où la neige ne fond jamais pour demander aux Khadymm eux-mêmes de lui forger sa lame.

      Bien sûr, ils avaient refusé mais qui dans la province de Saria pouvait se vanter de les avoir approchés si ce n'était son père ? Zahid Al-Jawad était un homme étrange, même pour ses filles, mais il était bon et tendre envers elles. Bala apprenait chaque jour auprès de lui et, quand viendra le jour, elle sera là pour épauler Yasmine quand celle-ci prendra la tête de la maison. Elle avait été élevée digne héritière, c'est pourquoi sa lame devait faire honneur à cet apprentissage. Et quand elle aurait l'âge de recevoir sa dernière lame, celle qui clôturerait son adolescence, elle irait elle aussi extraire ses pierres.

      Mais chaque chose en son temps. Le jour de l'Oumm occupait toutes ses pensées. Pour recevoir sa première lame, elle devait être irréprochable pendant toute la durée de la cérémonie. Sa nourrice s'en était assurée.

-N'oublie pas, avait-elle dit avant le grand départ, ne fais rien de stupide au palais. Reste près de ta sœur et fais tout ce qu'elle te dit, même si cela te déplaît. Tu dois jouer ton rôle, ma fille, rends-nous fiers.

      Bala laissa sa nourrice l'embrasser, fermant les yeux au contact du tissu froid et rêche du tablier contre sa peau. Elle sentait sous les mains moites qui lui caressait distraitement le visage, toute l'angoisse et l'appréhension que cette séparation causait à sa nourrice. Elle ne partait qu'une semaine mais depuis la mort de sa mère, chaque au revoir était douloureux, comme un adieu en suspens dans l'air. Elle se blottit dans les bras de la vieille femme, se laissant consumer par la chaleur et le réconfort que lui offrait cette embrassade avant que les servantes viennent annoncer l'heure du départ. Sa nourrice termina de la vêtir, nouant sa chevelure brune en un chignon à cinq tresses avant de s'incliner et de quitter la pièce.

      Bala congédia les servantes. Elle savait où elle devait aller.

      Le palais de la maison Al-Jawad avait été construit sur une colline, tout près du lit de la rivière Odera. Les pierres de l'édifice, importés du royaume voisin quand celui-ci était encore annexé à la Hassadie, n'étaient plus d'un blanc éclatant mais d'un ocre doux, qui se reflétait sur l'eau. Son ancêtre, avec l'aide des Quatre autres, avait imité le style des palais de son pays d'origine et avait doté la Saria de plusieurs édifices s'inspirant de ceux du Premier Monde.

      Bala n'avait jamais connu celui-ci mais le palais qui l'avait vu naître et grandir était une extension de ce souvenir si cher à son aïeul. Profitant de la rivière à contrebas et de la flore de la région, Jawad avait construit un Riad dont la pièce la plus vaste était le jardin central, là où se rendait Bala. Ici, ce n'étaient pas des fontaines qui abreuvaient les fleurs et les arbres venant du monde entier, mais la rivière elle-même, qui s'étendait en des dizaines de ruisseaux, pas plus grand en largeur qu'un auriculaire, alimentant chaque mètre de l'espace. Au fil du temps, les précédents chefs de la maison avaient aménagé l'espace, contrôlant le débit de l'eau, important de nouvelles plantes, ajoutant leur pierre à l'édifice. Son père avait entrepris les premières rénovations du plafond, créant un dôme aux voûtes sphériques en or blanc, un projet que Yasmine, en sa qualité de futur cheffe de famille, devrait achever.

     Au centre du jardin, cinq marches en marbre brut menaient au portail du domaine. Constituée du même marbre que les escaliers, une arche, assez large pour laisser passer deux chevaux adultes, était suspendue à quelques mètres du sol. Personne ne savait d'où venaient les portails. Les Khadymm considéraient qu'ils étaient un phénomène naturel, antérieur aux races qui peuplaient l'univers. Bala ne comprenait pas tout mais les étranges flammes bleutées et emprisonnées dans l'arche étaient tout sauf naturelles. Un feu ardent qui brûlait sans brûler.

     Quelqu'un se faufila devant Bala, passant une main à travers le liquide.

-C'est froid, commenta Yasmine en y enfonçant cependant son bras.

-Le contraire m'aurait étonné, répondit leur père. Bala, approche.

     L'enfant s'exécuta et gravit les marches rapidement. De plus près, la ressemblance entre Zahid et Yasmine était frappante. Même peau tannée, même nez court, mêmes sourcils épais. Tous deux avaient adopté la chevelure à l'ancienne mode impériale, soit une longue natte châtaine qui pendait sur leurs épaules. Vêtus de leurs habits royaux pourpres, le fourreau de leur dague respective, accroché à leur taille, attiraient immédiatement le regard. Un jour, Bala aussi aurait son arme. Et alors, l'œil vermeil ne serait plus l'unique chose qui la relierait à la maison Al-Jawad.

-Quand nous serons au palais, restes près de Yasmine, d'accord ? Je sais que tu es impatiente de recevoir ta première dague mais il est important que tu écoutes tout ce que ta sœur et moi te dirons. En es-tu capable ?

     Elle hocha la tête et la main qui vint lui caresser les cheveux fut réconfortante. Son père lui sourit et ses yeux lui parurent plus rouges que d'ordinaire. Il lui prit doucement la main et elle tendit les bras, pour qu'il la niche contre sa poitrine. Elle se savait trop grande pour ce manège mais tant que son père indulgait son comportement, elle n'allait pas s'en priver !

Un pas plus tard, ils étaient dans le palais royal, au cœur de la capitale. 

Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant