Chapitre II : L'absence d'un frère se voit partout- Kamra

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 -Tiens-toi droite !

     L'ordre la fit frémir et elle redressa ses épaules, luttant pour ne pas pleurer. Du haut de ses huit ans, Kamra savait deux choses avec certitude : qu'elle serait la prochaine gardienne d'Asyr et que son père la détestait. Si le premier constat était effrayant, le deuxième la terrifiait de tout son être. Chaque fois que la voix de son père brisait le silence, ses mains se mettaient à trembler, à sa plus grande horreur. Trembler était un signe de faiblesse. Et la maison Al-Qadir n'admettait aucune faiblesse.

     Si son frère avait été là, il aurait pris ses mains entre les siennes, pour la rassurer après la traversée du portail. Il lui aurait raconté quelques histoires drôles, des anecdotes sur ses entraînements en tant que gardien, il l'aurait distraite le temps que leurs parents aillent enregistrer leur venue dans le palais royal. Mais Abbas n'était plus. Et, si parfois elle sentait encore la chaleur de ses mains sur les siennes, elle avait attendu seule dans la pièce de transfert, entourée de gardes et de servants qui ne pouvaient se résoudre à la regarder dans les yeux.

     La pièce de transfert, qui reliait le domaine d'Asyr à la maison royale, était une salle ronde, de taille respectable mais dépourvue de décorations, si l'on excluait l'arche ocre qui flottait dans l'air. Kamra avait regardé les blocs de marbre tourner autour d'eux-mêmes, détruisant et reconstruisant l'aspect de l'arche toutes les minutes, rendant tangible ce qui ne l'était pas. Ce qui n'aurait pas dû être. Elle était en train de regarder la sixième rotation quand ses parents revinrent la chercher et que son père lui aboya l'ordre d'avancer.

     Fut un temps, Nasser et Sahar Al-Qadir l'aimaient . Elle se souvenait du visage de son père, avant qu'il n'aborde constamment l'air colérique qui ne le quittait plus depuis la mort d'Abbas. Elle revoyait sa mère avec ses beaux caftans multicolores, brodés par la plus délicate des couturières d'Asyr et ses cheveux bruns tressés avec des fils d'or et des perles miroitantes. Mais cela faisait des semaines, des mois qu'elle avait abandonné les belles tenues aux couleurs chatoyantes pour des robes noires, qui assombrissaient ses cernes et creusaient ses rides. Même la lueur dans les yeux de ses parents n'était plus la même, l'une semblable à un brasier ardent et l'autre...tout simplement éteinte. Et cette indifférence qu'exprimait sa mère à son égard était plus dure encore à supporter que la colère et le mépris de son père. C'était comme si Kamra n'existait plus à ses yeux, comme si le monde n'était rien de plus qu'une prison.

     Son père lui fit signe de les suivre. Elle se força à leur emboîter le pas, ignorant l'angoisse qui grimpait dans son cœur, qui lui serrait la gorge pour l'empêcher de respirer. Quand elle passa le seuil de la porte, l'absence d'Abbas se fit plus cruelle que jamais. C'était la première fois qu'elle se rendait au palais sans son frère. Sa première cérémonie d'arme se ferait sans lui, même si, ironiquement, elle possédait déjà une arme. Une arme qui ne lui avait jamais été destinée mais dont elle ressentait tout le poids sur sa hanche autant que dans son cœur.

- Je ne veux pas t'entendre, lui dit soudainement son père alors qu'ils arrivaient devant une porte dorée. Ne bouge pas une seule oreille, c'est compris ?

-Oui, baba.

     Le regard plein de mépris qu'il lui adressa lui broya le cœur. Elle comprenait maintenant pourquoi les servants du domaine baissaient la tête quand son père passait, être scruté par le commandant des armées hassadiennes était intimidant mais quand les prunelles rouges prenaient une teinte plus sombre sous la colère, c'était tout simplement insoutenable.

-Et je t'interdis formellement de t'éloigner de ta mère. Ta cérémonie est dans moins de deux semaines, je n'accepterai aucune mauvaise conduite, surtout pas maintenant.

Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant